La Russie influence-t-elle l'Afrique au Conseil de sécurité de l'ONU ?

Les recherches suggèrent que cette relation est exagérée, surtout au regard des habitudes de vote de l'Afrique avec les autres membres du Conseil.

Au cours des vingt dernières années, la Russie a cherché à se rétablir en tant que puissance mondiale. L'un des principaux moyens d'y parvenir a été de devenir membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). Ces dernières années, les positions de la Russie sur plusieurs conflits internationaux ont progressivement divisé le CSNU, provoquant un degré de paralysie sans précédent depuis la guerre froide.

Dans le même temps, des questions ont été soulevées quant à la manière dont les membres de l'A3, le groupement des trois pays africains membres non permanents élus chaque année, coordonnent leurs positions entre eux et par rapport aux intérêts des cinq membres permanents du CSNU (le P5). Plus particulièrement, certains membres africains s'alignent-ils davantage sur les positions de la Russie au sein du Conseil ?

Ces questions ont notamment été suscitées par le vote de l'Afrique du Sud contre le projet de résolution sur le Venezuela parrainé par les États-Unis, auquel la Russie et la Chine ont opposé leur veto en février 2019.

Pour comprendre cette dynamique, une étude récente menée conjointement par l'Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA) et l'Institut d'études de sécurité (ISS) a analysé les habitudes de vote entre l'A3 et la Russie. Une évaluation de tous les votes exprimés par les membres du CSNU entre 2014 et 2020 a révélé que la plupart des résolutions étaient toujours approuvées à l'unanimité, près de 95 % de tous les votes étant en faveur de toute résolution déposée.

La Russie se distingue par sa volonté d'opposer son veto ou de s'abstenir de voter sur les résolutions déposées au Conseil de sécurité des Nations unies

Ainsi, la « paralysie » institutionnelle à laquelle font référence de nombreux observateurs du Conseil, bien qu'elle soit considérable, s'applique à quelques débats à propos desquels les membres du Conseil sont en désaccord. Ces divisions se sont manifestées le plus nettement dans les discussions relatives à la Syrie, au Venezuela, à l'Ukraine et à l'agenda Femmes, paix et sécurité.

L'étude SAIIA-ISS a révélé que la Russie s'est toujours distinguée des autres membres du Conseil par sa volonté d'opposer son veto ou de s'abstenir sur les résolutions déposées. Elle s'est abstenue de 45 votes et a opposé son veto à 20 reprises entre 2014 et 2020.

La Russie s'est surtout opposée aux positions des autres États membres permanents, en désapprouvant « vivement » les positions des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni. Ce désaccord est généralement fondé sur ses reproches à l'égard des tentatives apparentes de l'Occident de « monopoliser la vérité » et de ce qui constitue les droits humains. La Russie bénéficie également d'une alliance opportune, mais passive, avec la Chine, qui partage les mêmes griefs à l'égard des approches dominées par l'Occident des conflits mondiaux.

Contrairement à la Russie, l'A3 a rarement voté contre les projets de résolution déposés entre 2014 et 2020, préférant s'abstenir sur les questions litigieuses. Parmi celles-ci figure le projet de résolution controversé de 2018 sur la Palestine, parrainé par les États-Unis.

L'A3 s'est rarement abstenu ou a voté contre des résolutions conformes à la position de la Russie

À mesure que les divisions se sont accentuées au sein du P5, les pays africains siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies ont de plus en plus recours à des positions collectives entre eux et alignées sur celles de l'Union africaine (UA). Cela a permis à l'Afrique d'avoir une plus grande influence sur les processus multilatéraux mondiaux qui affectent directement les conflits et les crises sur le continent.

Une approche similaire a été adoptée ces dernières années par les 10 membres non permanents (E10) du CSNU. Ces efforts ont considérablement contribué au succès de certaines discussions spécifiques du Conseil, comme l'autorisation d'un plus grand accès humanitaire à la Syrie. Toutefois, la coordination et la cohérence des positions de l'E10 se sont à nouveau quelque peu essoufflées depuis 2018.

Des positions plus cohérentes au CSNU de la part de l'A3 ont en outre permis aux États africains d'avoir plus de poids pour s'engager auprès des autres membres du Conseil. Les risques de ne pas y parvenir ont été révélés en décembre 2018, lorsque les membres de l'A3 ont divergé sur une approche commune de l'épineuse question du financement des opérations de soutien de la paix menées par l'UA. Les retombées sont encore visibles aujourd'hui. Les tentatives récentes de revitalisation des négociations n'ont réussi qu'à exposer les dissensions persistantes entre New York et Addis-Abeba.

L'étude SAIIA-ISS a constaté peu de preuves d'un alignement croissant ou d'une plus grande coordination entre l'A3 et la Russie, eu égard à leurs votes entre 2014 et 2020. La coïncidence de votes « favorables » entre l'A3 et la Russie a diminué d'année en année, passant de 91 % en 2014 à 72 % en 2020. En revanche, le chevauchement de votes « favorables » de l'A3 avec les États-Unis, la France et le Royaume-Uni variait de 91 % à 93 % en 2020.

Les rapports entre la Russie et l'A3 au sein du CSNU sont relativement peu coordonnés

Par ailleurs, les instances dans lesquelles l'A3 s'est collectivement abstenu ou a voté contre des projets de résolution conformes à la position de la Russie sont extrêmement rares. Entre 2014 et 2020, seul un membre de l'A3 a voté contre un projet de résolution auquel la Russie a opposé son veto (le vote de l'Afrique du Sud sur une résolution relative au Venezuela en 2019).

Ces résultats indiquent que la relation entre la Russie et l'A3 au CSNU est relativement peu coordonnée, particulièrement en ce qui concerne les votes de l'A3 par rapport aux autres membres du P5. Bien que l'étude SAIIA-ISS ne se soit pas penchée sur la substance des négociations spécifiques aux résolutions, l’alignement entre la Russie et l'A3 au cours de la période 2014-20 a été très faible.

Les arguments selon lesquels certains membres de l'A3 s'aligneraient davantage sur les intérêts de la Russie au sein du CSNU ne sont pas valables pour le groupe africain en tant que collectif. Le rôle de « dissident bruyant » de la Russie au sein du Conseil va sans doute se poursuivre, mais pour réussir, la Russie a besoin d'un soutien plus important de la part des autres membres, y compris de l'A3. D'après les résultats de la recherche SAIIA-ISS, cela semble peu probable.

Priyal Singh, chercheur, et Gustavo de Carvalho, responsable et chercheur principal, Opérations de paix et consolidation de la paix, ISS Pretoria

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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS

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