© Chafion Madi / AFP

La France envisage de mettre fin au droit du sol à Mayotte

Cette décision priverait Mayotte de la « citoyenneté par la naissance » afin de décourager l’immigration en provenance des Comores.

Le statut de Mayotte en tant que département français – bien qu’elle soit située dans l’archipel des Comores, au large de la côte est de l’Afrique – continue à engendrer des dilemmes spécifiques.

En février, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est rendu à Mayotte pour annoncer une proposition de modification de la Constitution française afin de lutter contre l’immigration clandestine en provenance des îles comoriennes voisines.

Cet amendement abolirait le droit du sol français à Mayotte. Ce droit du sol, ou citoyenneté par la naissance, permet à toute personne née sur le sol français de devenir citoyen français, quelle que soit sa filiation. L’amendement constitutionnel réduirait ainsi « l’attractivité » de Mayotte pour les immigrants potentiels, selon Darmanin.

La France pense que cette mesure bénéficierait aux Mahorais, au sein desquels le mécontentement croît face à l’afflux de migrants en provenance des Comores. On estime qu’environ la moitié des 350 000 habitants de Mayotte n’est pas mahoraise, mais principalement comorienne.

Le niveau de vie de Mayotte, plus élevé qu’aux Comores, attire les Comoriens, même si l’île est considérée comme la plus pauvre des 101 départements français. L’immigration a créé des tensions avec la population locale, qui accuse les migrants d’être responsables de l’augmentation de la criminalité et de créer de la concurrence pour l’accès aux services sociaux et à d’autres ressources. Selon Radio France internationale (RFI), Darmanin a été accueilli à Mayotte par des barrages routiers érigés par des « collectifs citoyens » protestant contre l’insécurité et l’immigration incontrôlée, et qui ont duré pendant près de trois semaines.

Si la décision a été saluée par certains Mahorais, d’autres l’ont jugée discriminatoire et raciste

Des Comoriens et des Comoriennes émigreraient à Mayotte pour y donner naissance à leurs enfants et obtenir ainsi pour ces derniers la nationalité française, ce qui donne également aux parents le droit d’y rester. La France a donc décidé d’y abroger le droit du sol.

Cette mesure pourrait être considérée comme faisant partie de l’opération Wuambushu, que les autorités de Mayotte – en fait la France – ont lancée il y a près d’un an. Cette opération visait à débarrasser les bidonvilles de Mayotte des migrants en situation irrégulière et à les expulser à environ 70 km, sur la plus proche des îles comoriennes, Anjouan. Le projet a échoué lorsque le gouvernement comorien a refusé d’accepter les personnes expulsées.

La décision d’abolir le droit du sol a suscité de nombreuses critiques qui la qualifient de discriminatoire et raciste, car ne s’appliquant qu’à Mayotte. Elle a cependant été accueillie favorablement par les Mahorais qui se plaignent de l’immigration clandestine.  

Elle a également ravivé le débat sur le colonialisme. En 1975, lorsque l’archipel des Comores a obtenu son indépendance, Mayotte avait décidé par référendum de rester dans le giron de la France. En 2011, elle a été élevée au rang de département français. Néanmoins, les Comores la considèrent toujours officiellement comme faisant partie de leur territoire. L’Union africaine (UA) et les Nations unies voient la question comme étant une affaire de décolonisation inachevée.

RFI a rapporté les propos de Nadia Tourqui, de l’organisation non gouvernementale comorienne Stop Wuambushu : « Je pense que cela confirme une fois de plus que les principes fondamentaux de la République s’arrêtent à la barrière de corail de Mayotte. Aujourd’hui, c’est le droit du sol qui est remis en cause. Demain, ce pourrait être la peine de mort, le modèle social.

La décision de la France pourrait se révéler coûteuse, notamment en raison du risque d’apatridie

» Il est clair qu’il n’y aura jamais de solution pour la paix et la sécurité à Mayotte tant que l’on ne voudra pas voir le problème dans sa globalité, celui de la souveraineté du territoire des Comores telle qu’elle est reconnue par les Nations unies. » Ces appels à l’indépendance de Mayotte semblent émaner principalement des Comoriens et non des Mahorais.

La réaction politique en France était en grande partie prévisible. La gauche a dénoncé la mesure comme une attaque raciste contre les valeurs françaises, tandis que la droite, anti-immigration, l’a accueillie favorablement. Boris Vallaud, chef des socialistes à l’Assemblée nationale, a déclaré que son groupe s’opposerait à cette révision de la Constitution. « Le droit à la citoyenneté par la naissance n’est pas négociable », a-t-il déclaré. L’association française SOS Racisme a également dénoncé ce qu’elle a appelé « une remise en cause particulièrement spectaculaire du principe d’égalité », a rapporté The Guardian.

Éric Ciotti, chef de file du parti de droite Les Républicains, a salué la proposition de Darmanin, tout en déplorant qu’elle n’aille pas assez loin. « Ce qui se passe à Mayotte risque de toucher demain la France métropolitaine », a-t-il publié sur le réseau social X. Il a ajouté que cette mesure devrait s’étendre à l’ensemble du territoire français.

On pourrait considérer le problème de Mayotte comme représentatif, à une échelle moindre, de la question plus vaste des migrations en Méditerranée. Des personnes désespérées montent à bord de navires qui ne sont pas en état de naviguer et se risquent à un voyage de l’Afrique vers l’Europe à la recherche d’une vie meilleure.

La différence est que Mayotte, bien que partie intégrante de la France sur le plan politique, n’est ni la France ni l’Europe du point de vue socioéconomique. Son PIB nominal par habitant en 2019 était de 10 850 dollars US, soit huit fois plus que celui des Comores, mais seulement à 26,4 % du niveau de la France métropolitaine. L’Institut national français de la statistique et des études économiques indique que plus de 40 % des Mahorais survivent avec moins de 160 € par mois.

Les migrants comoriens viennent à Mayotte pour avoir une vie meilleure, pas pour devenir français

On pourrait peut-être reprocher à la France de ne pas avoir fait le nécessaire pour le département de Mayotte. D’un autre côté, la restitution de Mayotte aux Comores, comme le demandent officiellement l’UA et l’ONU, ne résoudrait pas le problème.

Le rapatriement forcé des Comoriens, tel qu’il a été tenté l’année dernière, est inacceptable et irréalisable. Il n’est pas certain non plus que la suppression du droit du sol ait beaucoup d’impact.

« Cette décision engendrera des coûts importants, notamment en exposant des personnes au risque d’apatridie, en créant un système de citoyenneté à plusieurs niveaux, en aggravant les divisions politiques entre les Comores et Mayotte, et en privant certains Mahorais de leur accès à la citoyenneté française », déclare Aimée-Noël Mbiyozo, consultante principale en recherche à l’Institut d’études de sécurité (ISS). Certains Mahorais peuvent penser que cela leur sera bénéfique, mais c’est une politique qui se révélera à courte vue et dont les gains ne compenseront pas les coûts. »

Le Dr Sophie Blanchy, spécialiste de Mayotte et directrice de recherche émérite au Centre national français de la recherche scientifique (CNRS), a déclaré à ISS Today que l’abrogation du droit du sol ne fonctionnerait pas. Les migrants, en effet, ne se rendraient pas à Mayotte pour devenir français, mais simplement pour avoir une vie meilleure qu’aux Comores.

Le meilleur moyen de réduire l’immigration irrégulière serait de « déterritorialiser » les titres de séjour, qui, selon Blanchy, ne sont aujourd’hui valables qu’à Mayotte. Cela permettrait aux migrants de résider partout en France. Elle reproche également à la France de ne pas fournir de services sociaux adéquats pour intégrer les jeunes migrants dans la société mahoraise afin de décourager la délinquance.

Finalement, Blanchy suggère que la seule solution est d’éradiquer les disparités socioéconomiques entre Mayotte et les Comores, puisqu’elles sont à l’origine des mouvements migratoires. Cependant, pour ce faire, il faudrait soit restituer Mayotte aux Comores, « ce qui serait ethniquement problématique pour les Mahorais », soit élever les Comores au niveau de Mayotte, ce qui semble politiquement irréalisable, notamment en raison des problèmes de gouvernance des Comores.

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