L’intelligence artificielle pour lutter contre la criminalité environnementale en Afrique
L’IA offre des solutions innovantes dans la lutte coûteuse et chronophage contre les crimes environnementaux.
L’efficacité des lois repose sur l’accès et l’analyse de grandes quantités de données, exploitables en temps voulu. Pour les polices confrontées à des limitations de compétences et de financement, comme c’est souvent le cas en Afrique, la gestion des données pour produire des résultats est longue et coûteuse.
En traitant rapidement d’énormes volumes de données, l’intelligence artificielle (IA) peut cartographier les mouvements des délinquants et des marchandises illicites, identifier des modèles de comportement et d’activités criminels et établir des liens ciblés.
L’IA est reconnue dans le monde entier pour son potentiel à réduire le temps de recherche et d’analyse de la police. En avril, le gouvernement britannique a annoncé y investir 230 millions pour faire économiser à la police 38 millions d’heures de travail. L’Union européenne a lancé un projet d’IA pour lui fournir des renseignements complets afin de détecter la criminalité organisée.
La lutte contre la criminalité environnementale organisée est particulièrement coûteuse, laborieuse et complexe. Les délits qu’elle recouvre, souvent commis dans des zones reculées, impliquent divers réseaux et relèvent de plusieurs juridictions. Malgré leur impact significatif sur l’environnement, l’économie et la société, les crimes contre l’environnement sont souvent moins prioritaires pour les forces de l’ordre.
Les recherches du projet ENACT sur la criminalité organisée, au sein de l’Institut d’études de sécurité (ISS), montrent comment l’IA peut gérer certains aspects complexes et coûteux des enquêtes sur la criminalité environnementale en Afrique.
La lutte contre la criminalité environnementale organisée est coûteuse et complexe
TrailGuard AI est un système de caméras qui permet aux responsables des parcs nationaux de détecter, de stopper et d’arrêter les braconniers avant qu’ils ne tuent des animaux sauvages. Les petites caméras, facilement camouflées, sont placées le long des sentiers où les renseignements locaux ont identifié des menaces. Les modèles d’IA filtrent 99 % des fausses alertes, économisant ainsi les batteries des appareils dans les zones reculées.
Eric Dinerstein, directeur de Nightjar chez RESOLVE, qui a contribué au développement de TrailGuard, a déclaré à ISS Today qu’avec une bonne transmission cellulaire, une image déclenchée par des animaux sauvages ou des braconniers peut atteindre un téléphone portable dans un délai d’environ 30 secondes. Les gardes forestiers ou la police peuvent ainsi réagir en temps réel. Le système fonctionne également avec d’autres moyens anti-braconnages, tels que les chiens renifleurs.
La technologie TrailGuard a été déployée pour la première fois dans la réserve Singita Grumeti en Tanzanie en 2018. Elle a permis l’arrestation de 30 braconniers et la saisie de près de 600 kg de viande de brousse illégale lors d’une phase de test en Afrique de l’Est.
L’opération Pangolin, lancée en 2023, est une collaboration entre des universités, des initiatives de conservation et l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon. Elle utilise l’IA pour analyser les données des caméras de surveillance et reconnaître les pangolins pris dans les pièges photographiques et filmés par les caméras thermiques. Les images sont combinées aux données de l’outil de surveillance et de rapport spatial (SMRT) des patrouilles de gardes forestiers pour construire des modèles prédictifs du braconnage des pangolins. L’objectif à long terme est de développer d’autres modèles d’IA pour anticiper les itinéraires de trafic et les marchés.
Le projet, qui se déroule actuellement au Gabon et au Cameroun, collabore étroitement avec les parties prenantes nigérianes. Son équipe cherche à renforcer les capacités locales pour que les données, les technologies et les outils continuent d’être utilisés après la fin du projet. Bistra Dilkina, membre de l’équipe, a déclaré à ISS Today que « sans données locales, l’IA est une coquille vide. Nous avons besoin de champions locaux intégrés au projet ».
La technologie TrailGuard a permis l’arrestation de 30 braconniers en Tanzanie en 2018
Skylight est une plateforme de données marines qui applique la reconnaissance des formes, la vision par ordinateur et l’apprentissage automatique basés sur l’IA aux données satellitaires. Skylight exploite l’identification et l’analyse des mouvements de navires par des experts et l’applique rapidement à l’échelle mondiale pour détecter la pêche illégale dans les océans.
Elle alerte les garde-côtes et les autres organismes chargés de faire respecter la législation maritime sur les modèles et les emplacements suspects des navires, leur permettant de distinguer les activités illégales des comportements « normaux ». Madagascar, le Kenya, le Gabon et les pays du golfe de Guinée font partie des 70 pays qui exploitent la plateforme. Les fonctionnaires utilisent leur connaissance des lois nationales et des priorités, des mandats et des ressources de leurs institutions pour décider des actions à entreprendre.
Les données sont reçues assez rapidement pour permettre une intervention des forces de l’ordre en temps réel. Ted Schmitt, directeur principal de la conservation et responsable du programme Skylight, a affirmé que les garde-côtes utilisaient ces données pour arraisonner des navires et découvrir des activités de pêche illégales.
Digital Earth Africa (DEA) collecte un grand nombre de données satellitaires géospatiales brutes de toute l’Afrique et les convertit en informations prêtes à être analysées. L’observation des changements dans l’utilisation des terres au fil du temps à partir d’images satellitaires permet de mieux comprendre les activités minières illégales. Par exemple, la création d’étangs artificiels, le défrichage et la construction d’accès routiers peuvent indiquer une exploitation minière illégale.
Des données localisées en temps réel sur l’exploitation minière illicite peuvent rendre le déploiement de ressources limitées plus rentable et efficace. Le gouvernement ghanéen s’est associé au DEA pour identifier les activités minières illégales.
Madagascar, le Kenya, le Gabon et les pays du Golfe de Guinée utilisent la plateforme maritime Skylight
L’exploitation de l’IA pour faire respecter la législation en Afrique présente également des défis et des risques. Les limites de la disponibilité et du volume des données locales, l’inadéquation des infrastructures numériques et de communication, le manque de compétences techniques et de ressources pour répondre à la criminalité environnementale et le faible investissement dans la recherche et le développement font partie des problèmes à surmonter. Les systèmes réglementaires réactifs et la confidentialité des données, la surveillance non autorisée des civils et les menaces criminelles suscitent également des inquiétudes.
Cependant, l'IA a un avenir certain et évolue rapidement. En exploitant son potentiel, les décideurs africains peuvent considérablement améliorer la lutte contre la criminalité organisée malgré sa complexité.
Cela nécessite des investissements dans la collecte de données locales pertinentes et dans l’infrastructure numérique et de communication, ainsi que le développement de compétences humaines pour mettre en œuvre l’IA.
Les pays africains devraient réglementer l’utilisation de l’IA en s’inspirant du livre blanc et de la feuille de route de l’Union africaine sur l’IA. En attendant, les partenariats public-privé peuvent être mis à profit pour des utilisations de l’IA qui ont déjà fait leurs preuves et qui sont susceptibles de constituer de puissants outils de lutte contre la criminalité.
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