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L’avenir de l’énergie nucléaire en Afrique

Une hausse rapide de la demande pourrait contraindre l’Afrique à investir massivement dans l’énergie nucléaire.

Dans un monde où la transition énergétique est essentielle pour limiter le réchauffement climatique, quel est l’avenir énergétique de l’Afrique ?

Le programme Afriques futures et innovation de l’Institut d’études de sécurité identifie deux facteurs clés : la demande énergétique et la croissance démographique.

D’abord, le développement économique en Afrique s’accompagnera d’une augmentation significative de la demande d’énergie. Pour un développement rapide, 8,62 barils équivalents de pétrole par personne et par an seront nécessaires. Or, la moyenne africaine est actuellement de trois barils, la plus basse au monde.

Deuxièmement, l’Afrique connaît une croissance démographique rapide. En 2022, sa population atteindra 1,448 milliard d’habitants, dépassant celle de l’Inde (qui continue de croître) et de la Chine (qui a atteint son maximum). En 2066, l’Afrique comptera 3,2 milliards d’habitants, soit presque deux fois plus que l’Inde, tandis que la population chinoise continuera de décliner.

Cette croissance démographique entraînera une augmentation massive des besoins énergétiques, surpassant ceux de l’Inde dès 2061. Une économie en plein essor, boostée par des gains de productivité, amplifiera encore cette demande et les émissions de carbone qu’elle générera.

 

Une modélisation utilisant la plateforme de prévision International Futures de l’université de Denver explore la possibilité pour l’Afrique de réduire sa dépendance aux combustibles fossiles, notamment le charbon, le pétrole et le gaz. Actuellement, le pétrole constitue 43 % de la production énergétique du continent, le gaz 33 % et le charbon 19 %.

Selon les prévisions actuelles, d’ici 2050, le pétrole représentera 17 %, le gaz 40 % et le charbon 7 %. Avec des efforts supplémentaires, on pourrait réduire davantage la part du pétrole et du charbon.

Cependant, un abandon complet du gaz semble peu probable, ce qui implique une transition énergétique plus lente que nécessaire pour respecter l’objectif climatique de 2 °C. Par conséquent, d’autres régions devront réduire plus rapidement leurs émissions pour compenser celles de l’Afrique.

Bien que l’Afrique exporte une grande partie de ses combustibles fossiles, elle reste plus dépendante de ces ressources que toute autre région. Cela limite la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique : le nucléaire, l’hydroélectricité, l’éolien, le solaire, la géothermie ainsi que d’autres sources renouvelables restent largement sous-exploités.

L’insuffisance des infrastructures en Afrique dans le secteur des combustibles fossiles, comme la capacité de raffinage et les oléoducs, pourrait favoriser une transition plus rapide vers des sources d’énergie propres. Cependant, la croissance de la demande énergétique intérieure incitera probablement les Africains à utiliser une plus grande part de leurs combustibles fossiles pour répondre à leurs propres besoins, réduisant ainsi les exportations.

En 2050, l’énergie africaine se répartirait entre le pétrole (17 %), le gaz (40 %) et le charbon (7 %)

Contrairement à d’autres régions à forte production énergétique et à croissance démographique plus lente, la transition vers des énergies alternatives sera plus difficile pour l’Afrique, selon nos modélisations.

Les énergies éolienne, solaire, géothermique et les autres énergies renouvelables ne représentent que 2 % de la production totale d’énergie en Afrique. Leur développement nécessitera du temps avant de pouvoir remplacer en partie l’énergie des combustibles fossiles. L’éolien et le solaire représentent un potentiel important pour fournir de l’électricité domestique via des solutions hors réseau ou en mini-réseau dans les zones rurales, mais ils ne répondront pas aux besoins de base.

Sans avancées majeures dans le stockage de l’énergie, l’intermittence de la production des énergies renouvelables restera un obstacle majeur pour les pays cherchant à industrialiser leur économie tout en exploitant leurs ressources naturelles.

Les seules technologies susceptibles de réduire la dépendance de l’Afrique aux combustibles fossiles sont le nucléaire, l’hydroélectricité et la géothermie. Ces solutions sont coûteuses, leurs infrastructures longues à construire et elles posent des défis environnementaux. De plus, leur présence sur le continent reste limitée.

L’hydroélectricité est également menacée par le changement climatique. Par exemple, en Zambie où elle alimente 86 % du réseau, la production d’électricité a récemment souffert de l’impact de précipitations inférieures à la moyenne.

L’hydroélectricité représente environ 3,2 % de la production d’énergie en Afrique. Bien que plusieurs barrages soient en cours de construction, seul le Grand Inga, en République démocratique du Congo, pourrait transformer significativement le paysage énergétique africain. Malgré une capacité estimée à plus de 40 GW, le projet est freiné par de nombreux obstacles : un coût colossal de 80 milliards de dollars et son éloignement des grands marchés de consommation.

Il nous reste donc l’énergie nucléaire. La seule centrale nucléaire opérationnelle en Afrique est celle de Koeberg, en Afrique du Sud. La Russie construit quatre grandes centrales nucléaires à El Dabaa, en Égypte, intégrant une capacité de dessalement, pour un coût total de 30 milliards de dollars. Ces infrastructures devraient être achevées en 2026, mais le nucléaire ne représentera alors toujours qu’à peine 1 % de la production énergétique africaine.

Selon l’Association nucléaire mondiale, l’énergie nucléaire produit 10 % de l’électricité, 60 réacteurs sont en construction et le double en phase de planification. La plupart d’entre eux sont des centrales traditionnelles à grande échelle.

 

Cependant, les microréacteurs et les petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR) pourraient offrir une solution prometteuse aux défis énergétiques de l’Afrique. Toutefois, il faudra au moins une décennie pour leur déploiement commercial à grande échelle. Actuellement, la Russie et la Chine exploitent trois SMR, et des investissements considérables sont alloués à de nouvelles conceptions.

Les défis technologiques et de sécurité liés aux SMR semblent surmontables. Le principal obstacle réside dans la nécessité d’avoir des commandes importantes pour rentabiliser la construction du premier parc de ces réacteurs, conçus pour être fabriqués en série. Malgré leurs nombreux avantages, les coûts initiaux de lancement restent élevés.

Pour l’essentiel, des SMR pourraient être installés à proximité d’usines d’engrais, de dessalement, de mines ou de zones industrielles, offrant une capacité énergétique de base sans nécessiter de connexion au réseau national.

En Afrique du Sud, le nucléaire pourrait remplacer le parc actuel de centrales au charbon en intégrant les réacteurs SMR dans le réseau de la province de Mpumalanga au fur et à mesure que les anciennes installations sont mises hors service. Cette perspective explique l’intérêt croissant de pays africains comme le Kenya et le Rwanda pour le nucléaire.

Les SMR doivent être conçus en série pour être rentables

Malgré la mauvaise réputation associée aux accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, l’urgence climatique a ravivé l’intérêt pour le nucléaire. Les nouvelles technologies rendent cette option plus attrayante pour répondre aux besoins énergétiques de base en Afrique, là où les alternatives restent insuffisantes.

Promouvoir l’investissement dans les utilisations pacifiques du nucléaire nécessitera des partenariats innovants et un leadership audacieux. Cela implique de garantir une application sûre et responsable, tout en encourageant des politiques qui prennent en compte de manière équilibrée les besoins climatiques urgents et de développement pour le bien-être des populations.

Cet article est une mise à jour d’une première publication dans Africa Tomorrow, le blog du programme Afriques futures de l’ISS.

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