Guerre hybride – L'Afrique doit se méfier

Le cas récent du Mali montre que les pays en transition ou en médiation de conflit sont vulnérables aux menaces hybrides.

L'Afrique est en train de devenir rapidement le théâtre de menaces hybrides. Les allégations lors de campagnes d'information soutenues par l'État qui visent à attiser les divisions au Mali et les cyberattaques contre des organisations d'aide humanitaire telles que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en sont des exemples. L'utilisation de drones comme armes dans la Corne de l'Afrique, au Sahel et au Mozambique par des groupes armés violents, des acteurs étatiques ou leurs mandataires est également un signe de cette tendance émergente.

La guerre entre l'Ukraine et la Russie a mis cette question au centre des attentions. Elle gagne en importance depuis l'imposition de sanctions américaines à Moscou et les récits contradictoires sur les médias sociaux concernant les crimes de guerre présumés en Ukraine. Et cela, au moment où la position de l'Afrique sur la guerre reste profondément divisée.

La guerre hybride combine des formes conventionnelles de conflit armé (attaques cinétiques) avec d'autres outils stratégiques. Il s'agit notamment d'opérations d'information qui ont pour objectif d’influencer et de subvertir ou de recadrer des événements. Elle comprend également des cyber-attaques visant directement les ordinateurs ou utilisant l'internet pour commettre des délits traditionnels tels que l'extorsion et la fraude.

Dans toute l'Afrique, les armes hybrides sont déployées en temps de conflit et de paix, sapant la démocratie et l'état de droit. Elles sont également utilisées pour financer des entreprises terroristes ou criminelles. L'utilisation des opérations d'information par des entités étatiques, leurs mandataires et leurs adversaires pour s'assurer un avantage géostratégique est une nouvelle menace sur le continent.

L'utilisation des opérations d'information par les États, leurs mandataires et leurs adversaires constitue une nouvelle menace

En février, le Digital Forensic Research Lab de l'Atlantic Council a révélé l’existence d’une campagne en ligne soigneusement coordonnée contre le Mali. Soutenue par la Russie, elle avait pour but, selon les chercheurs, de susciter un sentiment anti-occidental et de saper la construction de la démocratie en « mobilisant le soutien du public au gouvernement du président intérimaire Assimi Goïta et aux militaires maliens », à la suite du coup d'État de mai 2021.

Tout a commencé par une avalanche de messages sur Facebook, alors que la France s'apprêtait à annoncer le retrait de ses troupes du Mali, où elle mène des opérations antiterroristes depuis neuf ans.

Ces messages faisaient la promotion de la junte militaire malienne, qui a pris le pouvoir lors d'une série de coups d'État récents. Ils approuvaient également l'arrivée du groupe privé Wagner, soutenu par le Kremlin, avant son déploiement au Mali. Ce groupe paramilitaire opaque, qualifié d'« instructeurs russes » par les autorités maliennes, entretient des liens avec les plus proches alliés du président russe, Vladimir Poutine. Wagner a suscité la controverse pour son manque de transparence, ses tactiques paramilitaires et ses soi-disant activités sous faux drapeau.

Dans de nombreuses démocraties africaines naissantes, où les contrôles et les équilibres du pouvoir peuvent être faibles, de telles tactiques peuvent être particulièrement dommageables. Les critiques affirment que l'objectif principal de Wagner est de garantir l'accès de la Russie à certaines ressources minérales du Sahel plutôt que d'obtenir la paix au Mali. Le groupe n'a pas fait grand-chose pour contester cette affirmation.

La République centrafricaine et le Burkina Faso sont confrontés à une guerre numérique par procuration entre l'Est et l'Ouest

Si l'Internet Research Agency de la Russie est souvent citée comme l'acteur principal de ces opérations d'information visant les États africains, les puissances occidentales ont également utilisé des tactiques hybrides pour influencer la région. En 2020, Facebook a supprimé les messages d'un réseau de comptes « inauthentiques » originaires de France qui diffusaient une rhétorique anti-russe en ligne. De plus en plus, les plateformes de médias sociaux subissent des pressions pour supprimer les messages jugés provocateurs ou qui enfreignent leurs règles communautaires.

À la suite de l'exemple malien, les chercheurs du Conseil atlantique pointent du doigt d'autres pays de la région, notamment la République centrafricaine et le Burkina Faso, voisin du Mali. Ces deux pays se sont retrouvés submergés par des menaces hybrides contestables, alors qu'ils sont entraînés dans une guerre numérique par procuration entre l'Est et l'Ouest.

Si le nouveau paysage numérique africain offre des possibilités de croissance économique, le continent présente également une nouvelle « aire d'attaque » pour ceux qui veulent semer la discorde. Les États en transition démocratique ou en situation de médiation pour résoudre un conflit sont particulièrement vulnérables aux menaces hybrides.

Un autre outil de la guerre hybride est la cyberattaque conventionnelle. Si certaines attaques ciblent les systèmes informatiques et sont conçues pour extorquer de l'argent, comme les attaques par rançongiciel (ransomware), d'autres ont pour objectif d’éroder la confiance dans les gouvernements. Citons par exemple les efforts déployés pour saper la réponse d'un pays à la pandémie de COVID-19 en recourant à des théories du complot - souvent initiées par des acteurs du Nord. Les chercheurs ont décrit cette tendance dans divers contextes, notamment au Nigeria.

Le secteur humanitaire africain a également été pointé du doigt par les « cyber-guerriers »

Un récent rapport d'Interpol fait état d'une forte augmentation des attaques contre des infrastructures essentielles, notamment les banques, les ports, les hôpitaux et les ministères. Interpol cite l'Ouganda, le Nigeria, l'Afrique du Sud et le Mozambique parmi les États qui ont été visés.

L'exemple le plus frappant s'est produit en 2021, lorsque Transnet, le principal opérateur portuaire d'Afrique du Sud, a été victime d'une cyberattaque. Les conséquences ont été ressenties dans toute la région, les chaînes d'approvisionnement ayant été perturbées pendant des semaines. Le moment choisi pour la lancer a suscité des interrogations parmi les commentateurs et les figures de l'opposition politique, étant donné sa proximité dans le temps avec une tentative d'« insurrection » en juillet de la même année. Si un lien est confirmé, cela montrera que les menaces hybrides combinent souvent des outils virtuels et réels.

Le secteur humanitaire africain a également été pris pour cible par des « cyber-guerriers ». En janvier, des pirates informatiques ont pris pour cible le CICR, exposant les données personnelles de dizaines de milliers de personnes vulnérables dans le monde entier - dont beaucoup fuient les conflits en Afrique.

La prolifération des drones en Afrique est une autre manifestation d'une menace hybride. En plus de remettre en cause les conventions de Genève, les engagements télécommandés dans des contextes tels que celui de l'Éthiopie risquent d'être utilisés pour régler des conflits internes sans mesures de surveillance rigoureuses.

Tout cela devrait inciter les dirigeants et la société civile en Afrique à mettre un frein aux abus technologiques. Le groupe de travail des Nations unies sur la question constitue un forum important pour discuter des règles des routes numériques. D'autres plateformes public-privé, telles que la Commission mondiale sur la stabilité du cyberespace, peuvent également mettre en garde contre les risques pour l'Afrique de devenir le Far West de la guerre hybride. L'expertise du secteur privé devrait être mise à profit pour soutenir le développement de la résilience de l'Afrique.

Les menaces hybrides peuvent sembler lointaines compte tenu des besoins humanitaires pressants du continent, mais les conséquences pour les populations vulnérables sont réelles, et les décideurs politiques les ignorent à leurs risques et périls.

Karen Allen, consultante, ISS Pretoria

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