Afrique : nouvel eldorado d’arnaques aux crypto-arnaques et du blanchiment d’argent
Bien que le marché africain soit encore restreint, il n'en reste pas moins qu’il abonde d’options pour les fraudeurs et les cybercriminels.
L’Afrique est la plus petite économie au monde en matière de cryptomonnaies. Cependant, ce marché est en croissance constante. L’usage licite des cryptomonnaies peut stimuler le commerce sur le continent, spécialement entre particuliers, petites entreprises et entrepreneurs. Ce sont ces catégories d’utilisateurs qui sont à l’origine de la plupart des récentes augmentations des transferts en cryptomonnaies constatées au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya.
L’Afrique doit toutefois se préparer aux menaces qui accompagnent l’utilisation des monnaies numériques. Il s’agit notamment des arnaques aux cryptomonnaies, de la criminalité organisée et des délits financiers tels que les transactions en cryptomonnaies à des fins de blanchiment d’argent ou « crypto-blanchiment ».
En 2020, la plus grande arnaque aux cryptomonnaies à l’échelle mondiale s’est déroulée en Afrique du Sud et avait été perpétrée par Mirror Trading International. Liées par un système de Ponzi, des centaines de milliers de victimes se sont vues escroquer l’équivalent de 588 millions de dollars américains en bitcoins. Toujours en Afrique du Sud, une fraude à la cryptomonnaie plus importante encore a eu lieu en avril 2021, commise cette fois par une entreprise appelée Africrypt, dont les deux fondateurs auraient volé 3,6 milliards de dollars à des investisseurs, en l’espace de quelques heures seulement.
Les cryptomonnaies sont des devises virtuelles ou numériques sous forme de jetons ou de pièces. Elles ont été rendues célèbres par les bitcoins, première cryptomonnaie à avoir été introduite sur le marché en 2009, et sont utilisées pour acheter des biens et des services. Les cryptomonnaies deviennent des modes de placement prisés.
En 2021, un acte de piratage de cryptomonnaies par une entreprise sud-africaine a permis de dérober 3,6 milliards de dollars à des investisseurs
Pour les criminels, la crypto-criminalité consiste à voler des cryptomonnaies ou les fonds investis dans ces monnaies, en ayant recours à des rançongiciels, à l’arnaque, au piratage et au vol. Selon le dernier rapport en date sur la criminalité liée aux cryptomonnaies publié par Chainalysis, ce sont la Russie, la Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Ukraine, la Corée du Sud, le Vietnam, la Turquie et l’Afrique du Sud qui reçoivent le plus gros volume de cryptomonnaies provenant d’adresses illicites.
L’Afrique du Sud est le seul pays africain mentionné dans le rapport de Chainalysis. Jusqu’à présent, les deux principaux types de crypto-criminalité signalés en Afrique sont les attaques par rançongiciel et les arnaques aux cryptomonnaies.
Les cryptomonnaies sont décentralisées et non réglementées. Contrairement au dollar ou au rand, aucune autorité bancaire centrale ne régule leur valeur, qui résulte du prix que les utilisateurs sont prêts à payer par unité. La technologie blockchain permet d’enregistrer et de stocker toutes les transactions en ligne en s’appuyant sur un cryptage sophistiqué afin de sécuriser chacune d’entre elles. Le nombre de cryptomonnaies sur le marché mondial a bondi, il en existe aujourd’hui environ 4 921. Le bitcoin est celle dont la valeur est la plus élevée ; un bitcoin équivaut à environ 60 000 dollars.
Le caractère mondial et rapide de ces transactions rend ces monnaies attrayantes pour les groupes criminels qui, dans la plupart des cas, effectuent et reçoivent des paiements sans avoir à révéler leur identité. Les utilisateurs du bitcoin peuvent désormais être retrouvés grâce aux adresses électroniques utilisées pour créer leur compte, mais ce n’est pas le cas de nombreuses autres cryptomonnaies, qui offrent ainsi aux utilisateurs l’anonymat le plus complet.
À ce jour, les deux principaux types de crypto-criminalité signalés en Afrique sont les attaques par rançongiciel et les arnaques aux cryptomonnaies
Le paiement par cryptomonnaie est la forme de paiement privilégiée pour plusieurs cyberattaques visant des systèmes informatiques, telles que les attaques par rançongiciel ou les achats d’armes illicites et de faux documents d’identité sur le darknet. Leur avènement augmente le nombre de crimes financiers tels que les actes de blanchiment d’argent, comme le note Interpol.
Les cybercriminels préfèrent avoir recours à des cryptomonnaies plutôt qu’aux monnaies ordinaires pour blanchir leurs fonds obtenus illégalement. Le blanchiment d’argent en cryptomonnaies, c’est-à-dire le blanchiment d’argent dans le cyberespace, est beaucoup moins coûteux, puisqu’il représente environ 15 % des recettes, contre 50 % environ pour les méthodes traditionnelles de blanchiment d’argent.
Le blanchiment d’argent implique le placement, la stratification et l’intégration des produits du crime. Pour permettre le placement de biens mal acquis, les criminels achètent des cryptomonnaies avec des devises ordinaires. Cette étape est censée être la plus risquée pour eux, mais de nombreux services de cryptomonnaies ne mettent pas en œuvre les mesures nécessaires pour lutter contre le blanchiment d’argent. Les sites web du darknet offrent une couche d’anonymat supplémentaire aux criminels souhaitant placer leurs gains.
Dans la phase de stratification du blanchiment d’argent, on utilise les cryptomonnaies pour effectuer des transactions multiples. Il arrive même que des paiements soient convertis d’une cryptomonnaie à une autre. L’objectif est de dissocier le produit final des fonds d’origine. Bien que la blockchain enregistre chaque transaction en cryptomonnaie, les criminels utilisent des services de mélange ou de mixage de cryptomonnaies afin de dissimuler leur trace sur la blockchain.
Le caractère mondial et rapide des transactions en cryptomonnaies rend ces dernières attrayantes pour les groupes criminels
La dernière phase de blanchiment est celle de l’intégration ; lorsque l’argent sale est rendu au criminel après que la source des fonds d’origine est devenue intraçable. Les criminels envoient leurs monnaies numériques « propres » à des fournisseurs de services cryptographiques spécialisés dans le blanchiment ou dont les exigences de conformité sont faibles. Les cryptomonnaies sont ensuite converties en devise ordinaire.
Bien que l’économie des cryptomonnaies soit encore relativement restreinte en Afrique, la menace du crypto-blanchiment doit y être prise au sérieux. Les échanges de cryptomonnaies sont en hausse sur le continent : elles représentent 8 milliards de dollars reçus et 8,1 milliards de dollars envoyés entre juillet 2019 et juin 2020. Les pays qui utilisent le plus les cryptomonnaies en Afrique sont le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, le Maroc et l’Égypte.
Actuellement, les transactions en cryptomonnaies vers et depuis l’Afrique relèvent principalement de transferts de fonds et de transactions commerciales licites. L’utilisation des cryptomonnaies augmente en raison de la prédisposition des monnaies locales à l’hyperinflation, de la forte pénétration de l’utilisation d’Internet, de l’augmentation du nombre de jeunes dans la population et du recours important aux transactions par téléphonie mobile. Ce sont les mêmes raisons qui attirent les groupes de la criminalité organisée souhaitant blanchir leurs revenus illicites.
La première étape pour les gouvernements africains est de s’assurer que les fournisseurs de services de cryptomonnaies évaluent et atténuent leurs risques de blanchiment d’argent et intègrent les réglementations internationales et nationales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Celles-ci comprennent notamment la diligence raisonnable à l’égard des clients, le signalement des transactions suspectes et la tenue de registres. Les entreprises de cryptomonnaies doivent collaborer avec les forces de l’ordre pour signaler les activités suspectes en vue d’une enquête plus approfondie.
La formation et le renforcement des capacités de la police en matière d’enregistrement et d’enquête sur la criminalité liée aux cryptomonnaies sont essentiels. Interpol peut proposer ce type d’accompagnement avec le soutien d’entreprises expérimentées dans le domaine de la blockchain, à l’instar du projet Titanium en Europe.
Associée à un vivier croissant de compétences numériques et à des réseaux criminels organisés transnationaux, l’expansion des marchés de cryptomonnaies en Afrique présente un terrain idéal pour l’essor du crypto-blanchiment. Il est impératif de s’attaquer au problème dès maintenant, afin d’éviter que l’Afrique ne devienne le prochain eldorado des crypto-criminels.
Richard Chelin, Chercheur Principal, ENACT, ISS Pretoria
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