Trafic de drogue : le Bénin est-il en état de siège ?
L'interception et l'incinération de stupéfiants sont des mesures positives, mais elles ne suffisent pas à briser les réseaux de trafic qui menacent la sécurité du pays.
Publié le 14 décembre 2021 dans
ISS Today
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Près de 42 tonnes de cocaïne ont transité ou ont été interceptées dans les États côtiers d'Afrique de l'Ouest entre 2019 et 2021, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Il s'agit notamment du Bénin, du Cap-Vert, de la Côte d'Ivoire, de la Gambie, de la Guinée-Bissau et du Sénégal.
Le Bénin devient progressivement une plaque tournante dans le réseau mondial de trafic de drogue. En juin 2021, le volume de ce commerce illicite s'élevait à 1,3 tonne au Bénin. Les drogues illicites proviennent d'Amérique latine et du Moyen-Orient.
Ces pays ne sont toutefois pas seulement des plaques tournantes du transit, mais aussi des zones de consommation accrue, prévient l'ONUDC.
Le 4 novembre, le procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) du Bénin a annoncé que 750 kg de cocaïne ont été découverts dans un entrepôt à Cotonou. Cette annonce fait suite à plusieurs autres saisies importantes de cocaïne et d'autres drogues réalisées par les forces de l'ordre nationales depuis 2019. Il s'agit notamment de 78 tonnes de drogues diverses, dont trois tonnes de cocaïne expédiées de Montevideo en Uruguay vers l'Europe via le Bénin.
Le Bénin devient progressivement un haut lieu du réseau mondial de trafic de drogue
Cette année, 2,5 tonnes de cocaïne ont été stockées à Sèmè-Kpodji, une banlieue à cheval sur Porto-Novo et Cotonou, en attente de redistribution ou de réexportation. Il s'agit jusqu'à présent de la plus grosse saisie effectuée en 2021 ; les autres vont de 10,5 kg d'héroïne à 557 kg de cocaïne. Les petites quantités sont interceptées à l'aéroport tandis que les plus grandes sont transportées par voie maritime.
Dans les années 1990 et au début des années 2000, de nombreux trafiquants ont essayé d'utiliser le Bénin comme point de transit, sans grand succès. Les récentes saisies et les tentatives de plus en plus nombreuses d'expédier de la drogue vers ou via le Bénin montrent que les trafiquants sont toujours à la recherche de routes alternatives vers l'Europe ou l'Amérique du Nord.
Les lacunes en matière de gestion des frontières terrestres et maritimes du Bénin, associées à la corruption aux différents niveaux de l'application de la loi, continuent de jouer un rôle dans les tentatives des trafiquants d'utiliser le pays pour leur commerce illicite. Les trafiquants exploitent ces vulnérabilités. Même les restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19 n'ont pas perturbé ce trafic au Bénin.
Des sources interrogées au Bénin ont déclaré à l'Institut d'études de sécurité (ISS) que plusieurs facteurs pouvaient expliquer les nombreuses saisies récentes effectuées par les forces de l'ordre. Certains affirment que les partenaires extérieurs du Bénin, en particulier les États-Unis, ont accru la pression sur le gouvernement pour qu'il renforce la lutte contre le commerce illicite de drogues et les activités criminelles transnationales connexes. Cette démarche s'inscrit dans le cadre de leurs efforts pour lutter contre l'extrémisme violent dans la région, notamment par le biais d'une collaboration diplomatique et institutionnelle plus étroite et d'une aide technique et financière.
Selon certaines autorités, les saisies de drogue ne représentent que la partie émergée de l'iceberg et une fraction du volume réel du commerce
Des sources ont également déclaré que la concurrence entre des entités des forces de l'ordre conduisait parfois à la manipulation ou à la dénonciation de colis de drogue cachés dans des conteneurs commerciaux ou d'autres produits exportés. Plusieurs sources ont évoqué des guerres de cartels locaux et externes qui se trahissent mutuellement. Cette situation doit faire l'objet de recherches plus approfondies au Bénin et ailleurs.
En outre, les mesures prises par le gouvernement béninois ont contribué aux récentes saisies. Depuis 2010, il s'efforce d'améliorer les lois et le cadre institutionnel de la lutte contre la drogue. Des institutions telles que le Comité interministériel de lutte contre l'abus des stupéfiants et des substances psychotropes, l'Office central de répression du trafic illicite des drogues et des précurseurs et la CRIET ont été chargées de mener les efforts contre le trafic de drogue.
Des sources ont indiqué qu'il existait un réseau bien établi de collaborateurs au sein et en dehors des forces de l'ordre béninoises et d'autres personnes qui facilitent ce trafic. Dans l'affaire Sèmè-Kpodji de cette année, des paquets de drogue étaient déchargés d'un navire en mer, transportés en petits emballages par des bateaux puis entreposés dans un dépôt à terre. Une telle opération nécessite un réseau bien organisé.
Depuis juin 2021, les autorités ont arrêté plusieurs personnes, dont certains agents des forces de l'ordre et des hommes d'affaires béninois et étrangers. Le gouvernement a également détruit de grandes quantités de drogues qui avaient été saisies. Depuis juillet 2021, 4,7 tonnes de drogue, dont 613 kg de cocaïne, ont été incinérées par des fonctionnaires béninois. Cependant, ces mesures ne semblent pas dissuader les trafiquants.
Il faut s'attaquer aux causes socio-économiques profondes qui alimentent le commerce illicite au niveau local
Certaines autorités affirment que les saisies ne représentent que la partie émergée de l'iceberg et une fraction du commerce réel. Elles affirment qu'il faut faire davantage pour lutter efficacement contre les réseaux. Selon certaines sources, l'impression d'une justice faible, partielle et sélective dans la plupart des cas continue de saper la crédibilité des forces de défense et de sécurité. Il est également difficile de savoir si les personnes arrêtées sont les cerveaux des réseaux ou celles qui travaillent pour eux.
Les arrestations à grande échelle et les peines d'emprisonnement rapides ne suffisent pas. Les autorités doivent renforcer les capacités des entités nationales et mettre à disposition les technologies adéquates pour mener des investigations approfondies sur les sources, le transit, les réseaux de soutien et les destinations des colis de drogues illicites afin de démanteler les réseaux existants.
Dans ce contexte, la coopération technique régionale et internationale est également essentielle pour partager les informations et coordonner les réponses. Les cartels de la drogue sont des acteurs du crime puissants et bien organisés qui disposent de suffisamment de ressources pour ébranler les mécanismes de sécurité des États faibles. La volonté politique ne suffit pas, les gouvernements et leurs partenaires doivent fournir des ressources idoines à leurs institutions pour résister à la corruption et à l'infiltration.
Lutter contre ce phénomène au Bénin nécessite également une stratégie inter-agences globale de lutte contre le trafic de drogue qui réduise l'offre et la demande. Chaque agence doit se voir confier la tâche de mettre en œuvre un aspect spécifique de cette stratégie. Et compte tenu de la vulnérabilité des jeunes aux drogues, il convient également de s'attaquer aux causes socio-économiques profondes qui alimentent le commerce illicite au niveau local.
La drogue n'est pas le seul problème auquel le Bénin est confronté. Parmi les autres activités illicites figurent le blanchiment d'argent, la traite des êtres humains, les faux médicaments et les délits financiers connexes. Situé dans une région instable qui lutte pour éradiquer l'extrémisme violent et d'autres facteurs d'instabilité, le trafic de drogues illicites pourrait fournir des ressources supplémentaires aux groupes armés actifs dans la région. Des sources locales mettent en garde contre le développement de systèmes de blanchiment d'argent liés à la drogue par le biais de la promotion immobilière, d'activités politiques, de carburants illicites ou du commerce de voitures, de motos et d'autres marchandises d'occasion.
Les interceptions et les incinérations ne suffisent pas à démanteler le réseau de trafic de drogue et à réduire les risques pour la sécurité du Bénin. Seules une amélioration institutionnelle solide et une stratégie globale en matière de criminalité organisée transnationale permettront de résoudre le problème de manière appropriée.
David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS
Cet article a été publié avec le soutien de la Fondation Hanns Seidel.
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