Les violences sexuelles liées aux conflits menacent la paix et la sécurité en Afrique
Les dirigeants africains doivent combattre ces violences par la réforme de la justice et l’implication active des victimes.
Publié le 30 avril 2025 dans
ISS Today
Par
Titilope F Ajayi
chercheuse principale, Renforcement de l'engagement de la société civile dans la gouvernance du secteur de la sécurité en Afrique, ISS Nairobi
Le 27 janvier, plus de 100 détenues ont été violées puis brûlées vives lors d'une évasion à la prison de Munzenze à Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Leurs assaillants ont incendié la prison pour faciliter leur évasion après que les autorités pénitentiaires ont pris la fuite devant les rebelles du M23.
C’est l'un des nombreux incidents de violence sexuelle utilisés comme arme de guerre dans le conflit en RDC et le dernier d'une série de viols lors d’évasions. Selon un rapport de 2024 de Human Rights Watch : « La violence sexuelle est un problème chronique dans les prisons congolaises », surpeuplées et mal gérées.
Durant la dernière décennie, la RDC a enregistré les taux les plus élevés des violences sexuelles liées aux conflits dans le monde. La violence généralisée dans l'est du pays touche les femmes et les filles, et de plus en plus les garçons, tous les acteurs du conflit y sont impliqués.
Si l'ampleur des agressions en RDC est remarquable, on retrouve des schémas similaires dans d'autres pays africains. Au Sud-Soudan, au Soudan, en Éthiopie et au Nigeria, des groupes armés ont pris pour cible des femmes, des filles, et des enfants en bas âge, lors de viols collectifs, souvent devant les membres de la communauté.
Les acteurs de la sécurité, dont les forces de maintien de la paix chargées de protéger les civils et de traduire les criminels devant les tribunaux, sont souvent les auteurs des violences sexuelles. En République centrafricaine (RCA), ces forces ont été impliquées dans des cas d'abus sexuels, aggravant une situation déjà désastreuse dans laquelle les groupes armés utilisent le viol comme arme de guerre.
Ces dix dernières années, la RDC déteint le taux le plus élevé de violences sexuelles liées aux conflits
Ces tendances sont alimentées par des facteurs idéologiques et structurels. Les groupes armés utilisent les violences sexuelles à l'encontre des femmes et des filles pour terroriser, humilier et contrôler les communautés. Le viol fait partie des stratégies de guerre globales, y compris les déplacements massifs, les punitions collectives et le génocide. Les violences sexuelles amplifient les niveaux élevés des violences sexistes qui se produisent en temps de paix.
Le manque de données fiables - dû à la stigmatisation, aux mécanismes de communication de l’information défaillants et à l'absence de systèmes judiciaires centrés sur les victimes - camoufle la portée réelle des violences sexuelles, bien que les chiffres disponibles soient suffisamment choquants pour justifier l'adoption de mesures.
Les lois et les plans d'action nationaux sur la sécurité des femmes sont généralement mal appliqués, et l'infrastructure judiciaire de nombreux États africains est faible, en particulier pendant les conflits. Les violences sexuelles liées aux conflits sont souvent considérées comme un dommage collatéral et ne sont pas prises au sérieux.
Les effets de ces violences vont bien au-delà de sévices corporels. Le Dr Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix, décrit le viol comme une « arme de destruction massive » qui laisse des séquelles physiques et psychologiques pendant des générations. Le viol reflète également l'échec de la défense des droits de l'homme, notamment le programme des Nations unies pour les femmes, la paix et la sécurité et la responsabilité de protection.
Au niveau national, les gouvernements des pays en conflits ont été lents à agir, souvent faute d’institutions solides, de corruption, de manque de volonté politique et de priorité accordée à la violence sexuelle. Et bien que les organisations de la société civile soutiennent les victimes et plaident pour des changements politiques, leurs efforts se heurtent à des ressources limitées et à l'opposition politique.
Les violences sexuelles liées aux conflits laissent des séquelles physiques et psychologiques
En RDC, les autorités ont échoué à plusieurs reprises à traduire les auteurs en justice. Les gouvernements du Soudan et du Sud-Soudan ont également eu du mal à appliquer des réformes ou à protéger les populations vulnérables, y compris les hommes et les garçons. Les mythes du patriarcat et de la masculinité masquent la réalité des victimes hommes, perpétuant les « hiérarchies du viol » qui excluent les hommes et les garçons des actions menées par les victimes.
Au niveau régional, bien que des initiatives comme le protocole de l'Union africaine (UA) sur les droits des femmes entend lutter contre la violence sexuelle, la mise en œuvre reste incohérente. La récente adoption par l'UA de la Convention sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes et des filles est saluée comme une étape importante, mais elle est encore inaccessible au public. Sa réussite dépend d'une transposition efficace en interne, d'une application rigoureuse et d'un investissement financier adéquat.
Les efforts mondiaux pour s'attaquer aux causes des violences sexuelles et garantir la justice aux victimes se sont révélés inadéquats. Les réponses internationales, y compris les missions de maintien de la paix, les initiatives relatives aux droits de l'homme et le cadre des Nations unies pour la prévention des violences sexuelles liées aux conflits, ont permis de faire quelques progrès, mais leur portée est insuffisante.
Un autre problème est le manque de transparence de certains acteurs internationaux. Un activiste humanitaire basé en Afrique a déclaré à ISS Today : « L'ONU ne s'ouvre pas à vous. La question est sensible et la corruption répandue». L'activiste a déclaré que la mise en œuvre des mesures liées à ces violences était médiocre, notamment en raison du conflit entre les droits des femmes et les normes locales concernant les violences sexuelles et sexistes.
L'implication de certains soldats de l’Union africaine et de l’ONU dans l'exploitation et les abus sexuels sape la crédibilité des interventions internationales.
Les violences sexuelles doivent être traitées comme une tactique de guerre et non un dommage collatéral
Les interventions futures doivent traiter ces violences comme une tactique de guerre délibérée et non comme un dommage collatéral. Cela nécessite des actions appuyées par les politiques, dirigées par les victimes et fondées sur des programmes de paix et de sécurité.
Les négociations de paix et la réforme du secteur de la sécurité doivent privilégier les violences sexuelles. Les acteurs politiques et militaires doivent garantir que les parties au conflit s'engagent à : enquêter sur les cas de violence sexuelle, poursuivre les auteurs et exclure des postes d'autorité les personnes ayant des antécédents en matière d'abus.
Pour ce faire, les gouvernements doivent transposer en interne et appliquer la convention de l'UA sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes et des filles afin que ses dispositions deviennent contraignantes. Pour faciliter cette action nationale, l'UA doit publier la convention.
Il est également essentiel d'examiner l'efficacité des mécanismes de contrôle des cadres nationaux, régionaux et continentaux. Au niveau national, les institutions judiciaires doivent être habilitées à poursuivre les coupables et à prendre des mesures disciplinaires contre eux et leurs complices. Les mécanismes communautaires de signalement et d'instruction dirigés par la société civile doivent être renforcés, en particulier lorsque le risque de conflit armé est élevé.
Enfin, il convient d'explorer des approches préventives plutôt que réactives, ce qui implique d'accorder plus d'attention aux causes profondes des violences sexuelles liées aux conflits et aux voix des victimes.
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