Les Jeux olympiques sont-ils « grand ouverts » aux Africains ?
De nombreux Africains sont exclus des évènements sportifs et les athlètes et artistes subissent discriminations et actes raciaux.
Les Jeux olympiques ont débuté à Paris la semaine dernière sous le slogan « Ouvrons grand les Jeux », reflétant le désir de « permettre à chacun de profiter pleinement de l’expérience olympique, tout en produisant un impact social significatif ». Ils promettent d’être inclusifs et d’une participation massive à une véritable célébration du sport.
Cependant, les Jeux ne sont pas isolés du contexte sociopolitique mondial. L’obtention des visas européens est plus difficile pour les Africains et les Asiatiques. Les sportifs et les artistes d’origine africaine ont vu leur nationalité et leur identité questionnées ; la France a interdit le port du hijab à ses athlètes et ses officiels.
Dans un paysage politique européen marqué par des sentiments anti-immigrés et racistes, où les identités et les politiques nationales de l’exclusion gagnent du terrain, les Jeux olympiques sont loin d’être ouverts aux Africains et aux autres non-occidentaux.
De nombreux voyageurs africains et asiatiques dénoncent des procédures de demande de visa humiliantes et coûteuses. En 2023, l’Union européenne (UE) a perçu environ 56 millions d’euros de frais de dossier pour des demandes de visa rejetées, déposées en Afrique, frais qui ont augmenté de 12,5 % le mois dernier.
Les refus de visas Schengen aux Africains dépassent de 10 % la moyenne mondiale
En 2023, 704 000 demandes de visa Schengen déposées par des Africains ont été refusées. Leur taux de rejet dépasse la moyenne mondiale de 10 % (voir figure 1). Sur les dix pays dont les taux de rejet sont les plus élevés (40 à 47 %), sept sont africains. Les demandeurs des pays les plus pauvres connaissent des taux de rejet plus élevés. Certains estiment que ces refus ont pour objectif de faire pression sur ces pays pour qu’ils accueillent les retours forcés.
Figure 1 : Taux de rejet des demandes de visa Schengen, 2014-2023
Source : Schengen Visa Info
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Figure 2 : Participation olympique des hommes et des femmes, 1900-2024
Source : Comité international olympique
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La Franco-Malienne Aya Nakamura a performé lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Des mois de rumeurs autour de sa prestation ont déclenché un assaut de commentaires racistes en ligne, la qualifiant de « vulgaire » et déclarant que Paris n’était pas le marché de Bamako. Des politiciens d’extrême droite, dont la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, ont affirmé que Nakamura n’était pas assez française et qu’elle « humilierait » le pays. Même ses défenseurs ont qualifié sa participation de « politique », bien qu’étant l’artiste qui vend le plus de disques en France.
Ces jeux marquent une parité hommes femmes effective (voir figure 2), mais l’inclusion reste problématique. Cet exploit historique est entaché par l’interdiction du gouvernement français à tous ses représentants de porter un couvre-chef religieux — une mesure critiquée par les organisations de défense des droits de l’homme —, qui empêche les filles et femmes musulmanes de participer. La France a déclaré qu’elle considérait les athlètes et les représentants nationaux comme des fonctionnaires légalement tenus de représenter la laïcité et la neutralité.
Les binationaux africains européens sont souvent vus comme des citoyens de seconde zone
Au cours des dernières décennies, on a assisté à un afflux d’athlètes d’origine africaine dans les sports européens. La mondialisation, le professionnalisme, les normes de compétition plus élevées et des salaires plus importants les ont incités à s’installer dans des pays et des clubs étrangers.
Dans le domaine du football, un rapport de KPMG datant de 2021 recense plus de 500 joueurs professionnels africains dans les équipes figurant en tête de 11 ligues européennes majeures, représentant 6 % des joueurs. Ce chiffre se base uniquement sur la nationalité primaire, excluant les joueurs d’origine africaine qui jouent pour des équipes nationales en Europe. Les Africains de la deuxième ou de la troisième génération, souvent citoyens européens ou possédant la double nationalité, sont probablement encore plus nombreux.
Lors de la Coupe d’Afrique des nations 2023, seules trois nations sur 24 (l’Afrique du Sud, l’Égypte et la Namibie) ne comptaient pas de joueurs à double nationalité. Trente et un joueurs ont dû manquer les matchs de Premier League anglaise pour représenter leur pays.
C’était aussi le cas des quatre premières équipes (Pays-Bas, France, Angleterre et Espagne) du récent Championnat d’Europe de football 2024 (Euro 2024). Lorsque l’Espagne a remporté la finale contre l’Angleterre, son premier but a été marqué par la star Nico Williams, assisté par l’adolescent sensationnel Lamine Yamal. Yamal est né à Barcelone d’une mère équato-guinéenne et d’un père marocain. Williams est né au Ghana et a émigré avec sa famille en Espagne. Son frère Iñaki représente le Ghana.
Le sport permet de dépasser les différences, mais peut également exclure ou discriminer
Après la défaite de l’Angleterre en finale, Bukayo Saka, né à Londres de parents nigérians, a subi des insultes racistes, notamment sur Instagram, d’où elles ont été supprimées pour incitation à la haine.
Après la défaite de l’Angleterre face à l’Italie en finale de l’Euro 2020, Marcus Rashford, Jadon Sancho et Saka, trois joueurs anglais d’origine africaine, ont fait l’objet d’attaques verbales virulentes, les accusant de ne pas être de vrais Britanniques et les sommant de retourner en Afrique. Ces insultes reflètent un phénomène courant pour de nombreux sportifs africains célèbres : héros en cas de victoire, et victimes d’attaques racistes en cas de défaite.
Ceux qui dénoncent cette hypocrisie sont souvent invités à « laisser la politique en dehors du sport ». Pourtant, le sport a souvent été un terrain politique. Qu’il s’agisse d’actions concrètes, comme la protestation contre les brutalités policières pendant l’hymne national américain, d’un symbole de la construction nationale (Coupe du monde de rugby 1995 en Afrique du Sud) ou de l’exclusion de l’Afrique du Sud des Jeux olympiques (1964-1988) en raison de l’apartheid.
Lorsque la France a remporté la Coupe du monde de football en 2018, l’humoriste sud-africain Trevor Noah a déclaré : « L’Afrique a gagné la Coupe du monde », car 12 des 23 joueurs français étaient d’origine africaine. Sa plaisanterie a suscité un débat sur la question de l’identité des joueurs : étaient-ils moins français que les autres ? La double identité africaine et européenne était-elle possible ? Et comment certains nationalistes radicaux ont-ils utilisé cette double identité pour créer des citoyens de seconde zone ?
Ces nationalistes gagnent en popularité en France. L’extrême droite a obtenu la majorité des voix au premier tour des élections françaises de 2024 grâce à un programme ouvertement xénophobe et raciste. En janvier 2024, la France a accéléré l’adoption de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui rend plus difficile l’obtention de l’asile et permet d’expulser certains demandeurs d’asile avant d’avoir fait appel.
En février, l’UE a approuvé le pacte sur la migration et l’asile, qui permet de détenir les demandeurs d’asile jusqu’à six mois, y compris les mineurs non accompagnés. Les réfugiés ukrainiens sont exemptés des restrictions prévues par le pacte, qui cible principalement les migrants originaires d’Afrique et du Moyen-Orient.
Le sport est certes perçu comme un moyen de transcender les barrières de pouvoir, richesse, politique, race et nationalité. Cependant, il nécessite des infrastructures, des équipements, des entraîneurs et des loisirs coûteux, et peut devenir un instrument d’exclusion ou de discrimination systématique. Pour que les Jeux olympiques soient réellement « ouverts », les organisateurs et les pays hôtes doivent joindre le geste à la parole.
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