Jeff Hutchens/Getty Images

Le rôle des femmes dans les enlèvements contre rançon au Tchad

Pour résoudre le problème, il faut comprendre les multiples rôles que jouent les femmes dans l'économie des enlèvements.

Les enlèvements contre rançon sont devenus l'une des formes les plus visibles du crime organisé au Tchad, surtout dans la zone frontalière méridionale avec le Cameroun et la République centrafricaine (encore appelée le « triangle de la mort »).

Ce qui a commencé comme un banditisme local opportuniste dans le nord du Tchad dans les années 1990 s'est transformé en une économie nationale du crime et de conflit. Les groupes rebelles et les contrebandiers liés au Darfour à l'est, les réseaux criminels et les raids transfrontaliers au sud en sont à l’origine.

Malgré les différences régionales et transfrontalières, ils ont en commun le fait que les hommes en sont souvent considérés comme les criminels et les femmes comme les victimes.

Des experts récemment interrogés par des chercheurs de l'Institut d'études de sécurité (ISS) au Tchad ont décrit les femmes comme étant soit des victimes directes d'enlèvements, soit des victimes indirectes qui cherchent à sauver leurs maris ou leurs enfants enlevés en rassemblant les paiements des rançons.

Cette vision étroite ne fait pas qu'effacer les rôles multiples des femmes, notamment en tant qu’informatrices, facilitatrices, clientes et même autrices directes, mais rend également les politiques aveugles aux dynamiques genrées plus profondes qui favorisent les économies d'enlèvement.

La question n'est pas de savoir si les femmes figurent dans ce paysage, mais comment. Ignorer le rôle des femmes fausse la compréhension des enlèvements, brosse un tableau erroné et affaiblit les réponses de l'État et de la communauté. L'analyse de la question doit tenir compte des croisements entre le genre, la criminalité, la violence, l'extrémisme et les conflits au Tchad et en Afrique centrale.

Ignorer le rôle des femmes brosse un tableau erroné et affaiblit les réponses

Les femmes et les filles sont effectivement enlevées, mais en moins grand nombre que les hommes et les garçons. Elles sont parfois violées en captivité, mais l’ampleur de ce phénomène reste encore méconnue.

Dans les économies sexuelles plus larges liées à divers conflits au Tchad et dans ses zones frontalières, les femmes sont souvent utilisées pour fournir des soins et exploitées sexuellement. L'extrémisme violent dans l'ouest du Tchad a multiplié les veuves et a perturbé les moyens de subsistance des femmes, obligeant nombre d'entre elles à recourir à des mécanismes d'adaptation pour survivre tels que la prostitution.

Toutefois, ce récit (de victime) est incomplet. Il contraste avec l’émergence de preuves de l'existence de femmes actrices d’enlèvement au Tchad et au nord du Cameroun, dont les rôles s’apparentent à ceux des femmes dans les groupes extrémistes et criminels violents. Ces rôles comprennent le recrutement, la logistique, le trafic d'armes et la surveillance.

Au Tchad, des analystes ont indiqué à l'ISS que certaines ravisseuses avaient été arrêtées et emprisonnées. Les femmes aident les auteurs à identifier des cibles potentielles et fournissent des informations personnelles qui facilitent les enlèvements. Elles abritent également les ravisseurs afin de dissiper les soupçons de la communauté. Cela se fait sous le couvert de relations sexuelles transactionnelles avec des ravisseurs qui utilisent le paiement de rançons et leur pouvoir financier pour acheter l'accès et la complicité des femmes.

Les femmes peuvent également intervenir comme clientes de ces crimes. Un analyste a raconté à l’ISS qu'une femme de la région de Mayo-Kebbi Ouest avait organisé l'enlèvement de son frère pour le punir de l'avoir accusée de sorcellerie. Une autre, à Gomadji, a commandité l'enlèvement de son frère plus riche, mue par la jalousie et le désir de le ruiner financièrement.

Dans un cas plus complexe, une guérisseuse traditionnelle a été arrêtée à Moundou pour avoir exploité l'enlèvement d'un enfant. Elle prétendait pouvoir retrouver l'enfant en échange d'environ deux millions de francs CFA.

Les femmes fournissent des informations et aident à choisir des cibles

Au-delà de leur complicité dans l'économie de l'enlèvement, les Tchadiennes ont manifesté à plusieurs reprises contre les violences à l'égard des femmes, exigeant de l'État qu’il rende des comptes et qu’il protège la communauté. Leur rôle potentiel d’intermédiaires et de négociatrices de rançons reste encore peu documenté, ce qui souligne la nécessité d'une recherche attentive au genre.

Le manque de connaissances et l’aveuglement des politiques à l'égard du rôle des femmes persistent en partie parce que les normes locales en matière de genre découragent l'implication des femmes dans la criminalité et la violence, masquant leur participation. Boko Haram a autrefois exploité cette même logique au Nigéria, utilisant les femmes et les filles parce qu'elles étaient des agents invisibles de la violence.

Un analyste a déclaré : « L'agression par des femmes ne fait pas partie de la culture tchadienne […] les femmes qui défient cette norme sont considérées comme des aberrations ». Interrogé sur la prise de conscience de la complicité des femmes, un journaliste local a déclaré : « On n'en parle même pas ».

Les données indiquent que l'implication des femmes est moins directe que celle des hommes, mais que les Tchadiennes vont parfois à l'encontre des normes traditionnelles de genre, de leur plein gré ou sous l'effet de pressions sociales et économiques. Cependant, aussi minime soit-il, le rôle des femmes doit être questionné afin de trouver des solutions durables aux enlèvements au Tchad.

Le fait que les réponses de l'État et de la communauté privilégient les moyens sécuritaires durs au détriment de solutions sociales ne facilite pas les choses, une situation favorisée par le niveau historiquement bas de l'analyse de genre dans la recherche sur les économies illicites en Afrique centrale.

La faible couverture médiatique des enlèvements, quelque peu compensée par l'utilisation croissante des médias sociaux pour les informations locales, rend l'analyse sexospécifique particulièrement difficile. Les incidents font souvent les gros titres de la presse locale, mais mettent rarement en scène les femmes au-delà de leur rôle de victimes.

Traiter les femmes uniquement comme des victimes, c'est mal comprendre le problème

L'examen par l’ISS de dizaines de documents rapportant des enlèvements entre 2017 et 2025 ne révèle qu'un seul cas où une femme a demandé à deux autres femmes d’enlever un petit garçon, pour des raisons personnelles et non pour obtenir une rançon.

L'absence de prise en compte de la réalité des rôles multiples des femmes a un impact direct sur la sécurité. Les réponses risquent de laisser intacts des segments entiers de l'économie des enlèvements, prolongeant ainsi l'insécurité. Les politiques qui se concentrent uniquement sur la « protection » des femmes sans tenir compte de leur participation active aux enlèvements répartiront les ressources de façon inadéquate et manqueront des occasions de prévention, de renseignement et de renforcement de la résilience.

Pour briser ce cycle, il faut un changement délibéré. Les décideurs politiques et les chercheurs doivent poser de nouvelles questions : comment les normes genrées déterminent-elles qui participe aux enlèvements ? Comment les économies sexuelles et monétaires se croisent-elles ? Comment les rôles des femmes peuvent-ils être identifiés avec plus de précision pour permettre des réponses efficaces ?

Une approche fondée sur l'égalité des sexes impliquerait les femmes, non seulement en tant que victimes, mais aussi en tant qu'acteurs multidimensionnels des économies de l'enlèvement. Il faudrait pour cela intégrer l'analyse des normes de genre, de la marchandisation sexuelle et de la mobilisation des femmes dans la recherche, les reportages des médias et la politique de sécurité.

Les enlèvements au Tchad ne sont pas seulement un crime violent ou motivé par le profit : il s'agit également d’une économie genrée qui exploite les femmes et dépend d'elles. Traiter les femmes uniquement comme des victimes, c'est mal comprendre le problème et affaiblir les solutions, en laissant des lacunes que les acteurs criminels exploitent.

 Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié