Tommy Trenchard/NPR

Le kush s'empare des jeunes du bassin du fleuve Mano

La Sierra Leone, le Liberia et la Guinée doivent s’unir pour protéger leurs jeunes de cette drogue de synthèse mortelle.

Le kush se répand dans le bassin du fleuve Mano, en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée, piégeant les jeunes et mettant à rude épreuve les services sociaux. Les trois États doivent présenter un front uni face à ce danger transnational pour l’empêcher de perturber la fragile stabilité de la région.

Le cannabis synthétique, qui est mortel, provient de la Sierra Leone où il est fabriqué et distribué dans la région par des organisations criminelles. Selon les explications de Hassan Fadiga, directeur général adjoint des opérations de l'agence libérienne de lutte contre la drogue, il contient des produits chimiques et des plantes qui imitent le cannabinoïde naturel THC du cannabis. Parmi les additifs il y a de l'acétone, des opioïdes comme le tramadol et le fentanyl, de la peinture, des désinfectants et du formaldéhyde, un produit chimique toxique. Certains rapports indiquent qu’on y trouve aussi des ossements humains broyés.

Le Dr Valerie Coker, de l'hôpital Princess Christian Maternity en Sierra Leone, soigne les femmes enceintes dépendantes du kush. Elle affirme que la teneur en THC y est nettement supérieure à celle du cannabis biologique. La drogue produit un puissant effet psychoactif qui peut rapidement conduire à la dépendance.

Un seul joint de kush coûte environ 0,25 dollar US et est généralement partagé par deux ou trois personnes, selon Aiah Nabieu Mokuwah, directeur exécutif de l'Institut pour le contrôle des drogues et la sécurité humaine de la Sierra Leone. La substance créant une dépendance, ses consommateurs peuvent fumer des dizaines de joints chaque jour, ce qui représente une dépense importante dans un pays où le salaire mensuel moyen est inférieur à 100 dollars US.

La consommation de drogues chez les jeunes augmente de façon préoccupante

Le kush est principalement fumé par les jeunes adultes et provoque une désorientation : les usagers s'endorment debout, trébuchent et tombent, déambulent au milieu des voitures, en pleine circulation. Il procure une euphorie hypnotique de longue durée, qui fait perdre le contact avec la réalité pendant des heures.

Abraham Kromah, ancien directeur de l'agence libérienne de lutte contre la drogue, explique que la drogue est produite localement à partir d'ingrédients de la région et de l’étranger. Le fentanyl, par exemple, est fabriqué dans des laboratoires clandestins en Chine et expédié en Afrique de l'Ouest. Le formaldéhyde est introduit clandestinement au Liberia par des trafiquants à partir de la Sierra Leone et du Nigeria ou provient illégalement des hôpitaux locaux, où il est utilisé pour conserver les corps dans les morgues.

Une fois le kush fabriqué, des réseaux criminels, principalement nigérians et sierra-léonais, profitent de la porosité des frontières pour l’introduire clandestinement ou utilisent parfois les petits bateaux de pêche exploités par des Ghanéens.

L'introduction du kush coïncide avec une augmentation inquiétante de la consommation de drogues chez les jeunes en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée. Kromah estime que plus de 1,5 million de jeunes au Liberia sont dépendants du kush. Selon Fadiga, la toxicomanie envahit les foyers, endommageant les relations et la dynamique de la communauté.

La Sierra Leone et le Liberia ont déclaré une urgence de santé publique

La drogue fait du Liberia une « société de zombies », selon Lawrence Yealue, directeur national du Accountability Lab Liberia, une organisation de défense des droits à but non lucratif. Il explique que les systèmes de santé du bassin du fleuve Mano doivent faire face à une demande croissante de traitement de problèmes de santé liés à la drogue. La toxicomanie et le trafic de stupéfiants font également grimper les taux de criminalité, diminuent la productivité et mettent à rude épreuve les services sociaux.

Le trafic de kush menace de compromettre la paix et le développement en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée. Après les terribles conflits de la fin des années 1990 qui ont fait plus de 200 000 morts et ont tout dévasté, ces pays sont toujours confrontés à de graves crises humanitaires qui ont un impact profond sur leurs structures sociales et économiques.

La consommation de kush a des racines profondes, liées aux défis sociaux et économiques de la région. Alfred Mansaray, directeur adjoint de l'Agence nationale de lutte contre la drogue de la Sierra Leone, met en cause le chômage des jeunes, en particulier dans les zones urbaines, qui crée un terrain fertile pour un besoin d'évasion offerte par la drogue. La faiblesse des systèmes éducatifs et le manque d'accès aux services de santé mentale exacerbent la vulnérabilité des jeunes.

Les pays du bassin du fleuve Mano ont lancé diverses interventions pour lutter contre le kush. La Sierra Leone et le Liberia ont tous deux déclaré une urgence de santé publique. Les  forces de l’ordre ont renforcé la répression des réseaux de trafiquants et des opérations conjointes entreprises récemment témoignent de l'engagement et de la collaboration régionale.

Il faut préserver l'avenir des jeunes et garantir les progrès durement acquis par la région

Les États du bassin ont également reconnu les limites des mesures punitives et ont lancé des campagnes de sensibilisation ciblant les jeunes. La campagne anti-kush en Sierra Leone et l'initiative Say No to Kush au Liberia sensibilisent les jeunes aux dangers de la drogue et leur proposent des solutions alternatives à travers la formation professionnelle et l'emploi.

Comme l’explique Mansaray, l'objectif n'est pas seulement de réduire la consommation de la drogue, mais aussi de préserver l'avenir des jeunes du bassin et de garantir les progrès durement acquis par la région. Ce qui est particulièrement important si l'on considère les conflits meurtriers et les urgences sanitaires — y compris l'épidémie d'Ebola de 2014-2016 — que la Sierra Leone et le Liberia, en particulier, ont subis au cours des deux dernières décennies.

Toute approche visant à empêcher la propagation du kush doit dépasser les frontières et exploiter la force collective des pays du bassin du fleuve Mano, en impliquant éventuellement la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest. Gibril Ceesay, du Bureau central national INTERPOL de Guinée, a déclaré que la Guinée consulte ses voisins, car le gouvernement n'a pas beaucoup d'informations sur cette drogue. Une source a révélé à ENACT que le gouvernement mettait en place un groupe de travail pour faire face à la crise.

Les campagnes de sensibilisation transfrontalières devraient arrêter de stigmatiser les toxicomanes, susciter un sentiment de responsabilité collective et encourager les personnes touchées à demander de l'aide. Les gouvernements de la Sierra Leone, du Liberia et de la Guinée devraient également mettre en place des programmes de réhabilitation impliquant les communautés et rechercher un soutien international pour faire face aux ramifications d'une épidémie de drogue que la région n'a pas encore totalement comprise.

Cet article a été publié pour la première fois par le projet ENACT.

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