Le déséquilibre parfait des politiques en matière de genre et de drogues

Maurice est un exemple de la façon dont les approches mondiales négligent la stigmatisation et la discrimination auxquelles les consommatrices de drogues sont confrontées.

Marie (nom d’emprunt) était une étudiante intelligente vivant à Maurice et rêvant de devenir assistante sociale. Cette amie d'enfance, et camarade de classe à l'école secondaire, et moi avions perdu contact il y a 10 ans. Nous nous sommes rencontrés récemment, elle n’était pas assistante sociale. Mère célibataire de deux enfants et ayant du mal à joindre les deux bouts, elle était devenue toxicomane.

Le père des enfants de Marie, également un consommateur de drogues, a été arrêté et emprisonné pour trafic de stupéfiants. Ses enfants ont été enlevés et leur garde a été confiée à l'État. Malgré le fait qu'elle ait acquis des compétences lorsqu’elle était en cure de désintoxication, comme l’artisanat et la couture, elle a peiné à reprendre une vie normale. Trouver du travail était difficile et elle ne pouvait pas obtenir la garde de ses enfants.

L’histoire de Marie n’est pas propre à Maurice ; il s’agit d’une expérience vécue par plusieurs consommatrices de drogues en Afrique et dans le monde entier. C’est aussi un bon exemple de la manière dont les politiques en matière de drogues dans la plupart des régions du monde, notamment celles qui traitent de désintoxication, ne tiennent souvent pas compte de l’aspect sexospécifique des toxicomanes, et particulièrement des femmes. Bien que le concept de genre englobe à la fois les hommes et les femmes, l'accent est mis ici sur les femmes qui se remettent de l’usage de drogues.

Maurice est souvent salué comme un pays africain qui incarne la bonne gouvernance et le développement humain. Cette nation insulaire a fait des progrès dans la réalisation de l’égalité des genres, occupant le 20e rang en Afrique sub-saharienne selon le Rapport mondial sur la parité entre les genres 2017 du Forum économique mondial.

Les consommatrices de drogues sont considérées comme étant au bas de l'échelle sociale, en dessous de leurs homologues masculins

En 2018, 58,2 % des étudiants des établissements d'enseignement supérieur étaient des femmes. En 2019, les femmes occupaient environ 39 % des postes de cadres dans les services gouvernementaux, par rapport à 37 % en 2018. Maurice a élu sa première présidente, Dr Ameenah Gurib-Fakim, en 2015. La Banque mondiale a classé le pays parmi les six premières économies à s’attaquer aux lois et réglementations discriminatoires qui limitent l’égalité des chances des femmes en 2019.

Cependant, sous ces réalisations se cache un aspect sinistre de l'île. Maurice a enregistré l'un des taux les plus élevés de consommation de drogues par habitant en Afrique en 2010. Les taux d'injection d'héroïne étaient particulièrement élevés, avec une prévalence de 61,8 % chez les femmes et de 42,5 % chez les hommes en 2013.  

Les politiques de Maurice en matière de drogues ont été principalement punitives. La loi sur les drogues dangereuses de 2000 punit encore les personnes arrêtées pour usage personnel de drogues par une peine d'emprisonnement ou une amende, voire les deux. Ces mesures n’ont pas aidé à réduire la consommation de drogues, et de nombreuses conséquences négatives ont émergé, surtout en ce qui concerne la santé publique. En 2005, 92 % des nouvelles infections par le VIH/sida à Maurice se sont manifestées chez des personnes qui s'injectaient des drogues.

La crise sanitaire due à la pandémie de COVID-19 a constitué un tournant décisif pour le gouvernement, qui a commencé à introduire des services de réduction des risques. En 2017, le taux de nouvelles infections par le VIH chez les personnes qui s’injectent des drogues avait chuté à 32,4 %. C'était la première fois en plus de 10 ans que la prévalence du VIH chez les gens qui s'injectaient des drogues était plus faible chez les femmes (28,5 %) que chez les hommes (33,2 %).

Après la désintoxication, les consommateurs de drogues ont plus de chances de trouver des emplois peu qualifiés que les consommatrices

En raison des stéréotypes qui font des femmes les nourricières, les femmes au foyer et les soignantes de la société, les consommatrices de drogues à travers le monde ont tendance à être plus stigmatisées que les consommateurs. Les consommatrices sont perçues comme étant au bas de l'échelle sociale, en dessous de leurs homologues masculins. Celles qui parviennent à échapper à leur situation ont tendance à être rejetées par leurs pairs et par la société.

La consommation de drogues est souvent due à la pauvreté et à la négligence sociale. Cependant, les politiques en matière de drogues négligent souvent ces questions, favorisant des mesures qui éliminent et interdisent les stupéfiants, et les approches qui prennent en considération les problèmes sociaux ne tiennent pas nécessairement compte du genre. Cela est dû au fait que les politiques sont généralement formulées pour traiter de situations spécifiques plutôt que de groupes de personnes spécifiques.

« Les politiques sont des documents qui ne reflètent souvent pas la réalité des gens sur le terrain » déclare Dr Craig Moffat, chef du programme d'exécution et d’impact de la gouvernance à Good Governance Africa. « D’un point de vue politique, tout le monde est traité sur un pied d'égalité. » 

Cependant, la société n'est pas égale. Les milieux patriarcaux favorisent les hommes, qui risquent moins d'être stigmatisés pour la consommation de drogues en raison des rôles liés au genre qui leur sont attribués. Les politiques peuvent malencontreusement devenir un outil d'oppression, le volet désintoxication des politiques de Maurice en matière de drogues en est un exemple.

Souvent, la marginalisation et la stigmatisation propulsent à nouveau les anciennes consommatrices dans la toxicomanie

Bien que le pays ait accompli des progrès prometteurs, la politique en matière de désintoxication intègre à peine la notion de genre. Ses dispositions visant à aider les femmes à gagner leur vie et à réintégrer leurs communautés sont limitées. Une fois la cure de désintoxication terminée, les consommateurs de drogues ont plus de chances de trouver des emplois peu qualifiés que les consommatrices, principalement en raison de la disparité entre les genres sur le marché du travail mauricien.

Pour combler ce fossé, des organisations ont commencé à établir des établissements de cure de désintoxication réservés aux femmes. Elles y acquièrent notamment des compétences qui leur permettent de lancer des micro-entreprises dans leurs localités. Bien que ces compétences soient utiles, ces programmes doivent se prémunir contre la perpétuation de stéréotypes sexistes en se concentrant sur les « métiers de femmes ». Comme le montre l’histoire de Marie, l’artisanat et la couture réussissent rarement à aider les femmes à gagner leur vie. 

Durant l’élaboration de politiques en matière de drogues et leurs plans de mise en œuvre, les responsables doivent tenir compte de la manière dont les hommes et les femmes seront touchés. On pourrait y parvenir en faisant participer les personnes directement touchées aux processus de rédaction et de mise en œuvre.

Il est nécessaire de mieux comprendre les différentes manières dont les femmes sont exclues des politiques portant sur les drogues et comment cette omission renforce les stéréotypes qui leur causent plus de préjudice. Grace Adetula, ancienne Directrice de l'unité pour le contrôle des drogues et la prévention du crime de l'Union africaine, a déclaré qu’une première étape consisterait à « obtenir des données ventilées par sexe sur les consommateurs et les consommatrices de drogues », sans pour autant violer la vie privée des femmes.

Le gouvernement pourrait en outre collaborer avec les centres de désintoxication pour travailler avec les programmes communautaires et les familles des consommatrices et des consommateurs de drogues afin de lutter contre la stigmatisation et la discrimination. Le soutien aux femmes qui se sont rétablies de la toxicomanie pourrait également inclure un appui financier et une assistance visant à les réunir avec leurs enfants et à les aider à s'en occuper.

La marginalisation et la stigmatisation fondées sur la violence à l’égard des femmes et la violence basée sur le genre sont des facteurs qui propulsent à nouveau les anciennes consommatrices dans le cycle de l'abus de drogues. Tant que les politiques en matière de drogues ne seront pas plus sensibles au genre, de nombreuses femmes comme Marie continueront d’être reléguées aux derniers échelons de la société.

Richard Chelin, chercheur principal, ENACT, ISS Pretoria

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