La saisie algérienne de cocaïne révèle des tendances alarmantes

La « cocaine gate » suggère une augmentation dans le trafic de stupéfiants le long de l’itinéraire de l’Afrique du Nord.

En mai dernier, une quantité record de 701 kg de cocaïne a été interceptée par les gardes-côtes et saisie par les autorités douanières du port d'Oran, la deuxième plus grande ville d’Algérie. Les stupéfiants ont été trouvés à bord du Vega Mercury dans un conteneur transportant de la viande congelée. La cargaison aurait commencé son voyage au Brésil, aurait fait escale dans les ports espagnols de Las Palmas et de Valence avant d’atteindre Oran. Les autorités espagnoles auraient informé leurs homologues algériens.

Le porte-conteneurs a été commandé par le plus gros importateur algérien de viande congelée, Dounia Meat, dont l’homme d’affaires Kamel Chikhi et ses frères sont propriétaires.  Surnommé 'El Bouchi' (le boucher), Kamel Chikhi est un puissant entrepreneur qui dirige plusieurs projets immobiliers et compagnies d'importation à Alger. Chikhi et trois autres membres de la compagnie, ont été immédiatement arrêtés. Le scandale, connu plus tard sous le nom de « cocaïne-gate », a conduit au limogeage de hauts responsables, dont l’ancien puissant directeur général de la sûreté nationale, le major général Abdelghani Hamel.  Son limogeage a été lié au fait que son chauffeur personnel a été cité dans l'enquête.

Que signifie cette saisie pour l’Algérie, un pays qui jusqu’alors n’était pas perçu comme un acteur stratégique du commerce de la cocaïne en Afrique ?

Tout d'abord, il semble peu probable que la cocaïne ait été destinée à la consommation locale. Bien que la taille du marché national reste inconnue, il est probablement trop restreint pour absorber une telle quantité de stupéfiants. La cocaïne est une drogue très coûteuse en Algérie, et son prix varie entre 20 000 et 40 000 DZD (€145-290) le gramme, selon la disponibilité. Il semble donc bien plus probable que la cocaïne ait été en transit en Algérie, destinée à être distribuée en Europe et au Moyen-Orient.

Avant la saisie « cocaine gate », l’Algérie n’était pas perçu comme un acteur stratégique du commerce africain de la cocaïne

Ensuite, cela signifie que cet itinéraire – du Brésil à l’Espagne puis à l’Algérie (Oran), y compris le marché de destination finale – avait sans aucun doute été testé et soigneusement sécurisé au préalable par de petites transactions.  Avant d’envoyer des quantités aussi importantes, les cartels de la drogue sécurisent généralement les itinéraires et établissent des partenaires locaux et des marchés finaux solides. 

Un diplomate et expert en sécurité a déclaré à ENACT que les saisies de drogue représentent seulement 10 % de la quantité qui circule. Cela signifie que les trafiquants algériens qui ont facilité cette opération sont susceptibles d'avoir des liens bien établis avec les cartels et les intermédiaires en Amérique du Sud.

Ce n’est pas par hasard qu’Oran a été utilisé comme port de transit. Grand port de commerce et de passagers situé à seulement 200 km de l’Espagne, Oran occupe une position stratégique pour le trafic de drogue. En janvier 2015, les pêcheurs ont découvert plus de 81 kg de cocaïne près des îles Habibas, à seulement 10 km des rives de la ville.

Les caractéristiques chimiques de la saisie de Habibas sont similaires à celles de plusieurs petites confiscations effectuées par la police ces dernières années. Cela suggère que la cocaïne transitant par l’Algérie pourrait être liée à un fournisseur exclusif.  La plus récente saisie de cocaïne en Algérie avant l’opération d’Oran, a eu lieu en 2015, lorsque 156 kg ont été découverts au port de Baraki. Dans ce cas, les stupéfiants étaient dissimulés dans un conteneur alimentaire transportant du lait en poudre importé de la Nouvelle-Zélande et transitant par l’Espagne vers l’Algérie.

L’itinéraire du trafic – du Brésil à l’Espagne puis à l’Algérie – avait sans aucun doute été testé et soigneusement sécurisé au préalable par de petites transactions

Il convient de noter que les deux saisies ont eu lieu dans des zones portuaires, dans des conteneurs destinés aux rives algériennes. L’Algérie s’est fait une place dans l’économie mondiale depuis le milieu des années 2000, avec une montée en flèche de ses importations, passées de 15,25 milliards de dollars en 2005 à 48,6 milliards en 2016 : soit une croissance de 318%. Ceci est dû à l’adoption d’une politique d’importation massive soutenue par des rentrées considérables des revenus pétroliers, dans les années 2000, qui continuent à constituer 95 % du total de ses revenus d’exportation. 

La saisie récente de cocaïne en Algérie rappelle une saisie similaire au Maroc, où 2,4 tonnes de cocaïne avaient été confisquées près de la capitale Rabat, en octobre 2017. En février 2018, les autorités marocaines ont également confisqué 541 kg de cocaïne dans un cargo provenant du Brésil et dirigé vers Casablanca.

Le trafic de cocaïne au Maghreb a atteint un niveau sans précédent depuis 2016, ce qui laisse penser que de nouveaux itinéraires sont en train d’émerger. Selon le Rapport mondial sur les drogues de l’ONUDC (2018), la quantité de cocaïne saisie en Afrique du Nord a été multipliée par six en 2016, représentant ainsi 69 % des saisies en Afrique. Traditionnellement, les stupéfiants provenant de l’Amérique du Sud arrivent en Afrique par la côte ouest avant d’être distribués en Europe et au Moyen-Orient. Les évolutions récentes suggèrent que la cocaïne transite de plus en plus par la côte nord-ouest.

Cette tendance s’appuie sur les routes historiques du cannabis qui naissent au Maroc. Il y a un lien établi entre les cartels de la drogue sud-américains et les trafiquants de cannabis marocainsqui, à leur tour, disposent de réseaux solides au nord-ouest de l’Algérie.  

La côte entre Casablanca et Alger est un « arc d’or » pour les trafiquants de drogue, leur offrant une ouverture sur trois continents

Ces alliances font de l’Afrique du Nord un pôle de transit très prometteur pour le trafic de cocaïne. La côte entre Casablanca et Alger, qui passe par Oran (Algérie) et Rabat (Maroc), est un « arc d’or » pour les trafiquants de drogue. Elle offre une ouverture sur trois continents tout en étant située à proximité des marchés européens. Surnommée la nouvelle « côte de la cocaïne » de l’Afrique du Nord, cette zone semble favoriser la prospérité du trafic de drogue dans les années à venir, pas seulement à cause de sa proximité avec le marché lucratif de la cocaïne en Europe, mais aussi des difficultés à traverser la région sahélo-saharienne sujette aux conflits.

Combattre cette nouvelle tendance nécessite une plus grande coopération interrégionale et intercontinentale contre le trafic de drogue. Des opérations maritimes conjointes visant à réduire le trafic de cocaïne, telles que celles qui ont été menées récemment en Espagne et au Maroc,sont vivement recommandées. Les forces navales algériennes doivent renforcer la sécurité dans les principaux ports à travers de meilleurs programmes de formation et de renforcement de capacités.  

En outre, les autorités douanières doivent appliquer une politique efficace visant à renforcer les contrôles sur les importations arrivant par porte-conteneurs. La politique dite du « couloir vert », qui permet aux importateurs expérimentés d’accélérer l’entrée des biens et des marchandises, devrait être réexaminée afin de mieux s’aligner aux normes internationales établies, par exemple, par l’Organisation mondiale des douanes.  

Le débat sur la « cocaine gate » reste fortement politisé et sa dépolitisation aidera également à identifier, à retrouver et à poursuivre les personnes impliquées dans cette opération. Mais, avant tout, les autorités algériennes doivent aller au-delà de cette saisie et interpréter cette dernière comme un avertissement que les réseaux criminels utilisent de plus en plus leur pays comme zone de transit de la cocaïne.

Jihane Ben Yahia, Coordinateur Régional de l'Observatoire du Crime Organisé en Afrique du Nord, ISS et Raouf Farrah, analyste principal pour l’Afrique, groupe SecDev

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Photo : © Lettifi Mohamed Saber / Alg 24

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