La politique étrangère de l’Afrique doit se concentrer sur les besoins du continent
Le développement et la paix en Afrique, et non la recherche de positions communes, peuvent jeter les bases d’une véritable influence mondiale.
Publié le 27 novembre 2024 dans
ISS Today
Par
Jakkie Cilliers
président du Conseil d’administration de l’ISS responsable de programme, Afriques futures et innovation
Mehari Taddele Maru
professeur adjoint à l’Institut universitaire européen et à l’Université Johns Hopkins
L’ordre international est remis en question par les tensions entre le Nord global ou l’Occident et les puissances émergentes du Sud, en particulier le groupe BRICS+. Dans un monde divisé, les grandes et moyennes puissances des deux côtés courtisent l’Afrique, comme en témoignent les nombreuses réunions au sommet et les promesses d’investissement à hauteur de milliards de dollars.
Mais ces partenariats renforcent-ils la position de l’Afrique sur la scène mondiale, comme le prétend l’Union africaine (UA) ?
Plus de 12 sommets africains sont désormais organisés avec des partenaires extérieurs, dont les plus récents sont la Chine et l’Indonésie. Lors du sommet Chine-Afrique de septembre, la Chine s’est engagée à verser 50 milliards de dollars à l’Afrique durant les trois prochaines années. Cette promesse fait suite à celle des États-Unis de verser 55 milliards de dollars sur trois ans en faveur de priorités communes et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Le Japon s’est engagé à apporter 30 milliards de dollars et la Russie a proposé plusieurs accords de collaboration et de consultation.
La relation de l’Afrique avec l’Union européenne (UE) est peut-être la plus importante. Le dernier sommet UE-UA organisé à Bruxelles en 2022, a adopté une vision commune pour un partenariat renouvelé et des investissements à hauteur de 150 milliards d’euros.
Selon l’UA, ces partenariats visent à renforcer la position et l’influence de l’Afrique sur la scène internationale. En privilégiant ces relations, notamment avec des puissances émergentes telles que l’Indonésie, l’Afrique entend optimiser son impact dans les affaires internationales.
Avoir davantage de partenariats extérieurs n’améliore pas nécessairement le libre-arbitre africain
Selon l’UA, la prolifération des partenariats témoigne de l’importance croissante de l’Afrique sur la scène mondiale et de son approche stratégique visant à atteindre les objectifs continentaux par le biais de la coopération multilatérale.
En théorie, la multiplicité des partenaires donne à l’Afrique plus de marge de manœuvre pour opérer des choix et accroitre son pouvoir de négociation, son autonomie dans ses prises de décision et sa flexibilité dans les relations internationales.
Mais rien ne prouve que ces efforts aient ralenti l’ingérence extérieure en Afrique. Par exemple, la vague de coups d’État dans la région du Sahel a conduit à une alliance entre les « gouvernements putschistes ». Cette alliance est soutenue par des garanties de sécurité de la Russie pour établir la Confédération des États du Sahel, qui menace à la fois l’UA et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Certains affirment que l’Afrique a une occasion unique de contribuer à façonner le futur ordre mondial, grâce à sa démographie, ses minerais essentiels et son importance dans les alliances diplomatiques et géopolitiques. Elle pourrait plaider en faveur d’une représentation plus équitable au sein de ses divers partenariats et des principales institutions internationales telles que le Conseil de sécurité des Nations Unies. La multiplicité des engagements renforce donc l’action de l’Afrique dans les affaires mondiales.
Dans sa quête d’un système mondial adapté à l’avenir, l’UA pourrait déployer ses positions africaines communes – par exemple, le consensus d’Ezulwini et la déclaration de Syrte. Celles-ci exposent la position de l’Afrique sur la réforme des Nations Unies, et de son Conseil de sécurité, en exigeant une représentation permanente avec droit de veto, une augmentation du nombre de sièges non permanents et une sélection des représentants africains sous l’égide de l’UA.
L’Afrique doit privilégier le renforcement institutionnel et économique, et la résolution des conflits
Ces documents illustrent l’engagement de l’Afrique en faveur du multilatéralisme, tout en visant à remédier aux injustices historiques et à garantir une représentation inclusive et une participation significative aux structures de gouvernance mondiale.
Toutefois, compte tenu de la complexité de l’Afrique, les positions communes sont rares. Leur élaboration est souvent coûteuse et laborieuse et, une fois définies, elles confèrent une certaine rigidité aux réformes. Elles peuvent également détourner l’attention des priorités internes urgentes du continent en matière de paix et de développement.
Plutôt que de rechercher des positions et des actions à l’échelle du continent, une stratégie introspective donnant la priorité au développement et à la paix en Afrique pourrait renforcer plus efficacement le libre-arbitre géopolitique du continent. Cette stratégie devrait être complétée par un engagement plus stratégique avec les partenaires clés.
Le continent doit se concentrer sur le renforcement de ses institutions, la résolution des conflits internes et la consolidation de sa résilience économique avant d’engager des ressources importantes dans des questions internationales plus vastes où ses intérêts ne sont pas en jeu.
En relevant d’abord les défis internes, l’Afrique peut développer une base plus solide pour exercer une influence significative dans les affaires mondiales et protéger ses intérêts stratégiques. Avec une approche plus pragmatique et dynamique, la multitude d’engagements extérieurs complète la poursuite de la paix et du développement de l’Afrique.
L’Afrique ne devrait soutenir la politique étrangère que lorsque ses intérêts sont directement en jeu
L’Afrique ne devrait soutenir la politique étrangère que sur les questions où ses intérêts sont directement en jeu. Elle devrait adopter des positions communes sur les questions qui empêchent le continent d’atteindre la paix et le développement – comme l’ingérence des États du Golfe.
L’agenda panafricain devrait privilégier la prévention de nouveaux conflits et une réponse rapide aux guerres au Soudan, en Éthiopie, en République démocratique du Congo, en Libye et dans d’autres pays. La réforme de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, ainsi que la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce, ont un impact direct sur les priorités de développement de l’Afrique et nécessitent une action à l’échelle du continent.
Il est également essentiel de poursuivre la réforme fiscale mondiale, de réduire les coûts des emprunts souverains, d’alléger la dette, de simplifier l’accès aux capitaux privés et au financement climatique, et d’établir des normes communes pour le développement des infrastructures. Ces objectifs réalistes peuvent mieux répondre aux besoins des populations.
Pour une politique étrangère stratégique tournée vers l’avenir, les États africains devraient convenir d’un ensemble normalisé de critères de transparence et de lignes directrices pour l’exécution des projets, applicables uniformément aux investisseurs étrangers et aux pays opérant en Afrique. Ces critères doivent comprendre des consultations publiques et des critères de durabilité. Les exigences doivent être claires, simples et accessibles au public – comme tous les accords à l’avenir.
L’UA devrait diriger l’élaboration d’un protocole juridique contraignant qui énonce ces exigences, suivi d’une promulgation et d’une mise en œuvre au niveau national. Des mécanismes stricts de réglementation et d’application devraient accompagner ce protocole qui régira tous les investissements étrangers et les accords de prêts souverains en Afrique.
Des initiatives telles que la réforme des architectures de paix et de sécurité africaines et internationales et la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine et de l’Agenda 2063 devraient être prioritaires. Avec ces priorités claires, l’Afrique peut forger des partenariats bénéfiques et supprimer les contraintes qui limitent son action, en vue d’un ordre international plus inclusif et plus stable.
Cet article a été publié pour la première fois sur le blog Africa Tomorrow du programme Afriques futures et innovation de l’ISS.
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