L’Ouganda condamne enfin un rebelle de la LRA dans une affaire historique
La condamnation, après 15 ans de détention, de Thomas Kwoyelo soulève des questions sur l’engagement de l’Ouganda à juger les crimes internationaux.
L’ex-commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), Thomas Kwoyelo, a été condamné en Ouganda le 13 août pour des crimes internationaux commis entre 1992 et 2005 dans le cadre d’une rébellion contre le gouvernement.
Ce procès était le premier du genre à se tenir dans le pays. Kwoyelo est resté impassible pendant que le juge Michael Elubu, de la Division des crimes internationaux (DCI) de la Haute Cour, prononçait le verdict unanime tant attendu.
À l’extérieur de la salle d’audience de Gulu (épicentre de la rébellion de la LRA de 1987 à 2008), dans tout l’Ouganda et dans le monde entier, les réactions étaient mitigées. Ceux qui avaient longtemps réclamé ce procès, notamment les victimes des violences de la LRA, ont exprimé leur soulagement.
Ceux qui considèrent Kwoyelo comme une victime des circonstances devenue auteur de crimes étaient en colère, estimant qu’il aurait dû bénéficier d’une amnistie, comme plus de 13 500 autres membres de la LRA. L’incertitude régnait également parmi ceux qui s’interrogeaient sur la suite des événements, y compris Kwoyelo lui-même, qui a passé 15 ans en détention. Sa peine n’a pas encore été prononcée.
Le procès contre Kwoyelo pour crimes internationaux était le premier du genre en Ouganda
Bien que ce procès soit le premier pour crimes internationaux en Ouganda, c’est la deuxième condamnation d’un Ougandais pour des crimes commis par la LRA. Le premier, Dominic Ongwen, avait été condamné en 2021 par la Cour pénale internationale (CPI) pour des faits similaires. Tous deux avaient été enrôlés enfants dans la LRA et étaient devenus commandants plus tard au sein de ce groupe violent et, une fois arrêtés, leur condamnation a pris de nombreuses années.
Kwoyelo a été arrêté en 2009, mais ce n’est qu’en décembre 2023 que la CPI a confirmé 78 des 93 chefs d’accusation portés contre lui. Les poursuites ont été interrompues à plusieurs reprises en raison de sa demande d’amnistie, de contestations constitutionnelles, de modifications des chefs d’accusation et de recours devant la Cour suprême.
Il a été reconnu coupable de 44 chefs d’accusation, dont meurtre, viol, torture, pillage, enlèvement et destruction d’installations destinées aux déplacés internes. Ces crimes ont été commis alors qu’il occupait les postes de commandant des opérations, directeur du renseignement militaire et commandant responsable des infirmeries.
Enlevé par la LRA à l’âge de 12 ans, comme environ 97 000 autres enfants et jeunes, Kwoyelo faisait partie des quelques-uns devenus commandants au sein du groupe. La rébellion de la LRA a fait plus de 100 000 morts et 1,9 million de déplacés, étendant son règne de terreur de l’Ouganda jusqu’à la République centrafricaine, au Soudan et en République démocratique du Congo.
Les 78 chefs d’accusation contre Kwoyelo, arrêté en 2009, n’ont été confirmés qu’en décembre 2023
Lors de la conclusion de son témoignage en mai 2024, Kwoyelo a demandé à la Cour de le considérer comme une victime. « Depuis mon enlèvement, je n’ai jamais connu la liberté ni la paix ; ma vie a été difficile », a-t-il déclaré.
Pour Sharon Nakandha, responsable de programme à l’Open Society Foundations, ce jugement est doux-amer. Bien que la DCI ait finalement reconnu Kwoyelo responsable de nombreux crimes internationaux, rendant ainsi justice aux victimes, elle souligne la durée excessive du procès.
Nakandha, qui travaillait alors pour Avocats sans Frontières, était présente dans la salle d’audience en 2011 lorsque le procès de Kwoyelo devait commencer. Après avoir suivi l’affaire de près, elle estime que ce procès doit inciter à une réflexion collective sur la nécessité de mettre en place des mécanismes de responsabilisation nationaux et régionaux solides et réactifs.
Pour instaurer de tels mécanismes, il ne suffit pas de promulguer de bonnes lois. Un véritable engagement en faveur de systèmes judiciaires bien outillés, attachés à l’impartialité et à l’équité, est essentiel. La DCI, créée à la hâte pour juger les crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides) ainsi que le terrorisme et d’autres crimes graves, a rencontré des difficultés initiales, notamment lorsqu’il a fallu nommer des juges permanents.
Des mécanismes de responsabilisation solides nécessitent une justice bien outillée, fondée sur l’équité
Oryem Nyeko, de Human Rights Watch, soutient que l’Ouganda devrait indemniser Kwoyelo pour la longue détention préventive et la procédure judiciaire dont il a fait l’objet. Étant donné que les victimes demandent également une indemnisation, il sera intéressant de voir comment la DCI abordera cette question. Kwoyelo n’a pas d’actifs documentés, les victimes ne recevront donc probablement des réparations que si le tribunal oblige le gouvernement ougandais à les indemniser conformément aux directives des Nations Unies.
Le rôle de Kwoyelo dans la LRA était important, mais il n’était pas le responsable principal. Le tristement célèbre fondateur et chef du groupe, Joseph Kony, est toujours en fuite. Bien que certains le croient mort, il se cacherait en République centrafricaine ou au Soudan du Sud. En 2017, les forces africaines et américaines ont cessé de le traquer, estimant que la LRA ne représentait plus une menace pour l’Ouganda.
Kony est recherché par la CPI pour viol, esclavage, mutilation, meurtre et recrutement forcé d’enfants soldats. En mars 2024, la CPI a décidé d’entamer une procédure par contumace, la confirmation des charges étant prévue pour octobre prochain. Toutefois, pour que le procès ait lieu, Kony doit être arrêté et transféré à La Haye, car la CPI interdit explicitement les procès par contumace. Cette éventualité reste donc peu probable.
Même si Kony est finalement poursuivi au niveau international, il est essentiel que les autres responsables de la LRA soient jugés au niveau national. Cependant, la longueur de la procédure judiciaire de Kwoyelo révèle un manque d’engagement et de capacité du système judiciaire ougandais pour traiter ces affaires.
Les poursuites engagées contre Kwoyelo ont sans doute mis l’Ouganda à l’épreuve. Il a fallu près de 20 ans pour en arriver là, ce qui, pour Irene Anying, directrice d’Avocats sans Frontières pour l’Ouganda, annule l’mpact de la condamnation. « Une justice retardée est une justice refusée. Juger quelqu’un pendant plus de dix ans rend le verdict finalement insignifiant ».
Pour l’accusation et les victimes, la justice (même partielle) a finalement été rendue. Il est désormais crucial de garantir une justice rapide pour une meilleure responsabilisation. Les futures poursuites nationales pour violations flagrantes des droits de l’homme – en Ouganda ou ailleurs – devraient tirer les leçons de cette affaire et se rappeler qu’une justice rapide est plus efficace.
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