Guinée : la junte durcit le ton face aux médicaments illicites
Toutefois, est-ce que les résultats positifs dans la lutte contre ce trafic seront durables, y compris après le retour d'un gouvernement civil ?
Les autorités militaires guinéennes tentent de mettre un terme au commerce illicite des médicaments délivrés sur ordonnance. En effet, le pays est un haut lieu du trafic de produits pharmaceutiques en Afrique de l'Ouest : environ 70 % des médicaments qui y sont vendus seraient illicites.
Le marché de Madina, à Conakry, est considéré comme l'épicentre du trafic et constitue un important centre de stockage et de redistribution pour la région. Les produits sont vendus en contrebande en partie dans le pays, mais la majorité est acheminée vers le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, la Guinée-Bissau et la Côte d'Ivoire.
La lutte contre les trafics illégaux a fait l'objet de plusieurs efforts au fil des ans. En 2009, le Conseil national pour la démocratie et le développement, dirigé par Moussa Dadis Camara, a lancé une campagne contre les usines de fabrication de produits pharmaceutiques dans la capitale et ses environs. Bien que de grandes quantités aient été saisies, le marché noir a rapidement réapparu quelques mois plus tard.
En 2015, sous l'ancien président Alpha Condé, plusieurs autres mesures ont été prises. Après l'adoption de la Convention Medicrime en 2015, le gouvernement guinéen a mis en place une brigade Medicrime en 2019. À la suite de la pression des pharmaciens et des officines, le nombre de grossistes importateurs privés a été drastiquement réduit de 104 à 58 en 2019, puis de 58 à 10 en 2021.
Malgré la réduction du nombre d'importateurs, le trafic de médicaments illicites via Conakry se poursuit
En dépit de cette diminution spectaculaire du nombre d'importateurs, le trafic se poursuit dans le port de Conakry. Les douaniers ont indiqué au projet ENACT que le mode opératoire des groupes criminels consiste à faire de fausses déclarations ou à dissimuler les médicaments dans d'autres marchandises, comme des emballages de biscuits. Selon un grossiste du marché de Madina, certains importateurs privés agréés transportent également des médicaments pour le compte de grossistes illicites.
Depuis sa prise de pouvoir par un coup d'État en septembre 2021, le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) de Mamady Doumbouya a tenté à plusieurs reprises d'endiguer le trafic et la vente de médicaments illicites. Qualifiant ce commerce de « véritable problème de santé publique en Guinée », les autorités ont publié un communiqué ordonnant la fermeture de tous les magasins et points de vente de médicaments illicites avant le 15 septembre 2022.
Le 14 septembre, Aly Touré, procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et financières, a prévenu que toute personne qui serait encore impliquée dans ce commerce serait poursuivie. En juillet 2022, il avait émis 18 mandats d'arrêt après la saisie de plus de 200 conteneurs de drogues illicites dans le port de Conakry.
La gendarmerie effectue des patrouilles quotidiennes pour veiller à ce que les magasins spécialisés dans la vente de médicaments illégaux restent fermés. Par conséquent, les pharmacies illicites ne sont plus visibles dans les quartiers où elles étaient répandues, selon les responsables de la brigade Medicrime et les organisations de la société civile.
Des patrouilles quotidiennes de gendarme veillent à la fermeture des lieux de vente des médicaments illégaux
D'après le Dr Manizé Kolié, secrétaire général du syndicat des pharmaciens et des pharmacies privées de Guinée, tous les fonctionnaires et responsables communautaires doivent signaler les infractions sous peine d'être emprisonnés. Les gouverneurs, les maires, les chefs de quartier, les imams et les organisateurs de marchés sont également concernés. Cette répression intense explique le succès relatif du gouvernement. En outre, la junte ne craint pas de s'aliéner les électeurs contrairement à un gouvernement civil. Ce qui lui permet d'appliquer des règles impopulaires.
Cependant, malgré ces mesures, le problème persiste. Par exemple, une habitante de Conakry a déclaré à ENACT qu'elle s'était récemment procuré des médicaments illicites sur le même marché où elle les achetait avant l'interdiction. Elle a indiqué que les médicaments du marché noir étaient moins chers et qu’ils étaient considérés, pour certains d’entre eux, comme plus efficaces.
En Guinée, tout le monde ne souhaite pas la fermeture du marché illicite. Un journaliste d'investigation a déclaré à ENACT que Condé avait évité d’appliquer une répression stricte parce qu'il craignait d'irriter sa communauté à Kankan. Les habitants y sont connus pour leur grande dépendance à l'égard des médicaments illicites. Les mineurs, en particulier, prennent beaucoup de Tramadol, qui réduit l'appétit, leur donne l'impression d'être plus forts et leur permet de travailler plus longtemps sans se fatiguer. Ils utilisent également d'autres opioïdes.
Le succès de la junte dans la lutte contre le commerce illicite de médicaments sera-t-il durable, y compris après le retour à un gouvernement civil, actuellement prévu pour janvier 2025 ? Le trafic, la fabrication et la vente illégales de produits pharmaceutiques sont profondément enracinés en Guinée et sont devenus une activité lucrative, dont de nombreuses familles dépendent pour leur survie.
La question du coût doit être résolue car elle est l'un des éléments clés de l'essor du marché illicite
La répression ne doit être qu'un élément d'une réponse à multiples facettes. En raison de l'ampleur de l'économie criminelle, de la probabilité que le commerce soit devenu clandestin et de la dépendance des revenus des gens à l'égard de ce commerce, il convient d'adopter différentes approches.
Les autorités sanitaires ont déclaré à ENACT qu'elles avaient pris l'initiative de fournir des médicaments à toutes les pharmacies et à tous les établissements de santé, mais qu'il y avait encore des manquements dans l'approvisionnement. Selon une organisation de la société civile souhaitant garder l'anonymat, la fourniture de médicaments par l'État est insuffisante dans de nombreuses régions, notamment à Siguiri, à Kankan et dans les forêts guinéennes.
Les autorités sont tenues de garantir un approvisionnement continu en médicaments dans l'ensemble du pays. Le prix élevé des produits requiert également des mesures urgentes, car il est l'un des éléments clés qui favorisent l'essor du marché illicite. Il en va de même pour la recherche d'autres options génératrices de revenus pour les négociants du marché noir — une stratégie importante à long terme.
L’effort porté par le gouvernement sur le renforcement de la coopération et le contrôle des frontières avec les pays voisins destinataires de médicaments illicites devrait constituer une priorité constante, afin de prévenir et de détecter les nouveaux points névralgiques.
Mouhamadou Kane, analyste, Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, projet ENACT
Cet article a été initialement publié par ENACT.
Image : © Alamy Stock Photo
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