Faible retour sur investissement pour l’Ukraine en Afrique

Malgré son engagement croissant en Afrique, l’Ukraine reste insatisfaite.

Le ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, s’est montré peu diplomatique (de son propre aveu) lorsqu’il a déclaré à des journalistes africains que l’investissement de l’Ukraine pour améliorer ses relations avec l’Afrique avait été peu rentable.

Au cours de l’année écoulée, Kiev a renforcé son engagement diplomatique avec l’Afrique. Kuleba a évoqué les visites qu’il a effectuées dans 12 pays africains au cours des 12 derniers mois. En outre, l’Ukraine ouvrira bientôt neuf nouvelles ambassades, qui s’ajoutent aux 11 déjà en activité sur le continent.

Le Premier ministre Denys Chmyhal a déclaré aux journalistes que cette opération coûtera un milliard de hryvnia à l’Ukraine, soit environ 26 millions de dollars US. Cette décision intervient au moment où le pays a impérativement besoin d’armes supplémentaires pour repousser les envahisseurs russes et d’environ 411 milliards de dollars US pour reconstruire ses infrastructures.

Il ne s’agit là que des dommages subis sur les 50 % du territoire que l’Ukraine a récupéré de la Russie depuis le début de la guerre. Selon Chmyhal, ce chiffre pourrait doubler lorsque l’Ukraine reprendra le contrôle des 20 % de son territoire à l’est et au sud-est occupés par les forces russes.

Pour l’Ukraine, ce n’est qu’une question de temps. Cependant, sa contre-offensive a été faible durant l’année, et la Russie a progressé tout aussi lentement sur d’autres fronts.

En 2023, Kiev a investi 26 millions USD pour développer ses relations avec l’Afrique

Chmyhal a ajouté qu’au milieu de cette bataille féroce et sanglante pour la liberté, l’indépendance, et la simple survie, l’Ukraine avait réussi à faire don de 170 000 tonnes de denrées alimentaires à l’Afrique grâce à son programme d’aide « Grain d’Ukraine ».

Chaque graine a été obtenue au prix d’une lutte acharnée. La Russie a bloqué les ports ukrainiens de la mer Noire lorsqu’elle a assiégé l’Ukraine en février 2022. En juillet 2022, les Nations unies et la Turquie ont conclu l’initiative céréalière de la mer Noire qui a permis une levée partielle du blocus de la Russie, restreinte à l’expédition de denrées alimentaires.

En juillet 2023, la Russie s’est retirée de l’accord. Le rétablissement de l’initiative était l’une des principales requêtes des sept dirigeants africains lors de leur rencontre avec les présidents Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, en Ukraine et en Russie en juillet de cette année. La réduction de l’approvisionnement en céréales ukrainiennes et russes avait occasionné la flambée des prix des denrées et provoqué l’insécurité alimentaire.

Poutine a rejeté leur requête. Cependant, l’Ukraine a pu poursuivre ses expéditions de céréales en maintenant la marine et l’aviation russes à distance grâce à des armes anti-navires et anti-aériennes fournies par l’Occident, et en suivant des voies maritimes plus stratégiques. Les cargaisons de céréales passent par les eaux de la Bulgarie et de la Roumanie, membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.

Acheminer ces céréales, notamment en Afrique, a été un acte héroïque. Cette démarche n’est pas totalement altruiste, comme l’a expliqué Zelensky aux journalistes africains, car l’Ukraine a également obtenu des devises étrangères indispensables pour financer son effort de guerre. Il a ajouté que l’Ukraine désirait prouver au monde qu’elle restait un garant de la sécurité alimentaire mondiale.

Pour les Ukrainiens, l’abstention des pays africains équivaut à un abandon

Ses propos étaient assez poignants. L’Ukraine se veut indispensable, face à la menace de destruction qui pèse sur elle en tant qu’État libre et indépendant, qui n'a pu stopper l’avancée russe que dans la banlieue nord de Kiev l’année dernière.

Lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies de 2022 condamnant l’agression de la Russie, 17 pays africains se sont abstenus. Ce chiffre est assez surprenant. L’Érythrée a, quant à elle, voté contre la résolution. L’Afrique compte le plus grand nombre de pays qui ont évité de blâmer la Russie.

Pour les pays africains abstentionnistes, comme l’Afrique du Sud, il s’agissait d’un vote de non-alignement et du refus d’intervenir dans un conflit lointain. Cette abstention traduisait probablement l’anti-occidentalisme présent dans certaines parties du continent. Quoi qu’il en soit, les Ukrainiens assiégés se sont sentis abandonnés et trahis à un moment crucial.

Pour Kuleba, le faible rendement des investissements ukrainiens en Afrique découle du fait que ses pairs ne se sont pas rendus à Kiev. Il affirme que l’Ukraine a dû se battre pour chaque vote africain à l’ONU, tout comme elle l’a fait pour récupérer chaque centimètre de son territoire. Kuleba a déploré que lorsque l’Ukraine convainc un pays africain de la soutenir pour une résolution, elle ignore si celui-ci votera de la même manière la fois suivante.

Paradoxalement, l’Ukraine elle-même s’est abstenue de voter pour la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 27 octobre réclamant un cessez-le-feu et une trêve humanitaire dans les combats à Gaza. Pour Zelensky, cette décision tenait au rejet de l’amendement de l’Ukraine. Cet amendement préconisait que l’invasion de l’Ukraine par la Russie soit mentionnée dans la résolution concernant la Russie.

L’Ukraine s’est abstenue lors du vote à l’ONU pour un cessez-le-feu à Gaza

L’Ukraine entendait démontrer qu’elle ne chercherait pas « seulement l’équité et la justice dans une guerre et pas dans une autre ».

C’est peut-être une victoire tactique pour l’Ukraine, mais en réalité, il s’agit d’une erreur stratégique, qui affaiblit ses critiques à l’égard des pays qui l'ont abandonnée lors de l’adoption des résolutions. Cette décision a placé Kuleba dans la position, sans doute inconfortable, d’occuper le box des abstentionnistes avec son homologue sud-africain Naledi Pandor, lors d’une conférence de presse commune à Pretoria.

Il n’en reste pas moins que les États africains devraient au moins voter pour condamner la violation de la Charte des Nations unies par la Russie, même si cela ne contribue en rien au maintien de la liberté et de l’indépendance de l'Ukraine.

Pandor et son gouvernement se plaisent à dire que le non-alignement ne signifie pas que l’Afrique du Sud est neutre. Elle n’est pas indifférente à la souffrance des Ukrainiens.

Cependant, du point de vue de Kiev, cette distinction est purement sémantique.

Peter Fabricius, consultant, ISS

Image : © Cabinet du Président de l'Ukraine

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié