Trump fait volte-face sur les droits humains
Les rapports 2024 du département d'État transforment les démocrates en despotes, reflétant les valeurs de Trump et du mouvement MAGA.
Rien n’illustre autant le changement radical de politique étrangère du président américain Donald Trump que les rapports 2024 du département d'État sur les pratiques en matière de droits humains.
Les rapports sur la situation des droits humains dans le monde ont été mandatés par le Congrès en 1977 afin d'orienter la politique étrangère américaine, notamment sur des questions telles que les sanctions. Ils étaient basés sur les droits individuels, civils, politiques et du travail, reconnus à l'échelle internationale en vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
La structure des rapports utilisée les 48 dernières années a été radicalement modifiée pour refléter les intérêts et les valeurs de Trump et de son équipe MAGA (Make America Great Again).
Des évaluations complètes et circonspectes portant sur des catégories entières d'abus ont été supprimées telles que : la discrimination raciale et ethnique systémique ; la discrimination à l'égard des femmes, des personnes LGBTQ+, des personnes handicapées et des peuples autochtones ; les restrictions à la tenue d'élections libres et équitables ; la corruption gouvernementale ; le harcèlement des organisations de défense des droits humains ; les atteintes à l'environnement ; la violence sexiste ; les restrictions à la liberté de réunion et d'association et au droit à un procès équitable ; les conditions de détention inhumaines ; les mutilations génitales féminines.
Dans The Atlantic de ce mois, Anne Applebaum a écrit que, selon des sources gouvernementales, les idéologues de Trump avaient passé les six mois qui ont suivi la finalisation des rapports par les experts des droits humains du département d'État à les adapter au programme présidentiel.
Les rapports finaux sont considérablement tronqués et reflètent en grande partie ce que Trump aime ou déteste. Les anciennes démocraties occidentales comme l'Allemagne sont critiquées pour des infractions présumées, telles que la criminalisation de la propagande nazie, tandis que des États autoritaires comme le Salvador sont disculpés. Le résultat final bouleverse l’image du monde, faisant passer le Salvador pour un pays plus démocratique que l'Allemagne.
Ces rapports font passer le Salvador comme étant plus démocratique que l'Allemagne
Il en va de même pour l'Afrique. Le rapport sur l'Afrique du Sud, considérée comme l'un des champions de la démocratie sur le continent, reflète bien les réactions épidermiques que provoque ce pays chez Trump, en particulier depuis son retour à la Maison Blanche en janvier :
« La situation des droits humains en Afrique du Sud s'est considérablement détériorée au cours de l'année ; avec la signature du projet de loi sur l'expropriation (B23-2020) le 20 décembre, l'Afrique du Sud a pris une mesure très inquiétante en faveur de l'expropriation des Afrikaners et de nouvelles violations des droits des minorités raciales dans le pays. »
La loi autorise l'État à procéder à des expropriations des terres sans indemnisation dans certaines circonstances. Elle vise en partie à remédier à la répartition extrêmement inégale des terres, qui restent majoritairement entre les mains des Blancs.
Le rapport indique que la loi fait suite à « d'innombrables politiques gouvernementales visant à démanteler l'égalité des chances dans l'emploi, l'éducation et les affaires, ainsi qu'à une rhétorique extrême et à des actions gouvernementales qui alimentent une violence disproportionnée à l'encontre des propriétaires fonciers défavorisés sur le plan racial. »
Certaines de ces politiques ont sans aucun doute été maladroites, mais le rapport, à l'instar de Trump lui-même, ne reconnaît pas qu’elles ont été conçues pour corriger des inégalités historiques.
Il affirme que Pretoria avait omis d'engager des poursuites et de prendre des sanctions contre les fonctionnaires qui avaient commis des violations des droits humains, « y compris des discours racistes incendiaires contre les Afrikaners et d'autres minorités raciales, ou des violences contre les minorités raciales ».
Le plus troublant est que ces omissions constituent un rejet de la démocratie
Ces observations reflètent les allégations de Trump selon lesquelles les Afrikaners blancs, en particulier les agriculteurs, sont victimes d'un « génocide ». Ce qui a incité les États-Unis à accorder l'asile aux « réfugiés » afrikaners blancs. Jusqu'à présent, une centaine d'entre eux ont été admis, mais ils pourraient bientôt atteindre les 30 000, soit représenter environ 75 % de tous les réfugiés arrivés aux États-Unis cette année.
Le rapport sur les droits humains dénonce également « la rhétorique antisioniste et antisémite au plus haut niveau du gouvernement [sud-africain] » et affirme que « des responsables gouvernementaux ont ouvertement soutenu des positions pro-Hamas ».
Il est aussi particulièrement instructif de comparer les rapports de 2023 et 2024 sur la Guinée équatoriale, celle-ci figurant parmi les pays qui commettent les pires violations des droits humains en Afrique.
D’abord, le rapport 2024 compte environ 2 100 mots, contre plus de 7 700 en 2023. Des sections entières ont été supprimées, notamment celles consacrées aux restrictions sur : les élections libres et équitables et l'indépendance du pouvoir judiciaire ; la corruption du gouvernement ; la violence sexiste généralisée ; la violence ou les menaces visant les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer ou intersexes.
Sur ce dernier point, par exemple, le rapport 2023 indiquait que « la police avait violé et abusé sexuellement des femmes et des filles transgenres dans des centres de détention, ainsi que des jeunes lesbiennes ou queer afin de ‟prouver” que ces jeunes étaient des femmes ». Le rapport 2024 reste muet à ce sujet.
Le plus troublant est toutefois que ces omissions constituent ensemble un rejet de fait de la démocratie.
Ces rapports, qui faisaient référence, ne reflètent désormais que l'idéologie de Trump
On peut soutenir que ce sont les actions qui comptent plutôt que les mots, et que ce sont donc les actions de l'administration Trump, plutôt que les rapports du département d'État, qui importent.
Néanmoins, ces rapports ont une portée plus large que le gouvernement américain. Comme le fait remarquer Applebaum, parce qu'ils étaient perçus comme relativement impartiaux, basés sur des normes mondiales et compilés par des professionnels travaillant sur le terrain, « ils étaient devenus une référence, largement utilisée dans le monde entier, citée dans des affaires judiciaires et des campagnes politiques ».
Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une autre expression du « trumpisme ». Applebaum souligne que les rapports 2024 sont intéressés. Alors que l'édition 2023 critiquait les conditions difficiles, voire mortelles, des prisons du Salvador, celle de 2024 ne trouve « aucun exposé crédible faisant état de violations importantes des droits humains ». Elle l'explique par le fait que l'administration Trump procède à des expulsions vers le Salvador.
De même, l'Allemagne est critiquée pour ses « restrictions à la liberté d'expression » parce qu’elle oblige les entreprises américaines et les opérateurs Internet à supprimer les discours haineux, au grand dam des partisans de Trump du secteur des technologies.
Applebaum suggère que l'administration Trump utilise ces rapports pour justifier non seulement la politique étrangère américaine, mais aussi sa politique intérieure. Par exemple, les rapports minimisent la manipulation des élections, le harcèlement des militants de la société civile et la discrimination à l'égard des femmes ou des minorités sexuelles.
En Afrique, la plus grande perte pour les victimes de violations des droits humains est qu’elles ne pourront plus s’appuyer sur ces rapports dans les litiges qui les opposent à l’oppression de leurs gouvernements. Le rapport a dévalorisé les droits humains à travers le continent et le monde entier.
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