Renforcer la militarisation verte du Cameroun pour protéger les éléphants
La demande mondiale d’ivoire attire des braconniers armés du Tchad et du Soudan dans le parc national de Bouba Ndjida.
Le braconnage constitue une menace majeure pour les éléphants de savane en Afrique centrale. Au cours des deux dernières décennies, le programme de surveillance du braconnage des éléphants a recensé 3 004 éléphants abattus illégalement dans cette région. En avril 2023, plusieurs éléphants ont été tués dans la région de Beinamar au Tchad, près de la frontière camerounaise, ravivant les craintes d’une recrudescence du braconnage.
Le parc national de Bouba Ndjida, dans le nord du Cameroun, jouxte la réserve de biosphère de Sena Oura, au Tchad. Il est régulièrement pris pour cible par des braconniers lourdement armés du Tchad et du Soudan, motivés par la demande internationale d’ivoire et la recherche de financements pour leurs activités.
Le manque de surveillance, la tolérance locale au braconnage, la corruption, la porosité des frontières et l’instabilité régionale rendent le parc vulnérable à ces activités illégales.
Figure : Parcs nationaux à la frontière Cameroun-Tchad
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En 2012, environ 650 éléphants ont été tués dans le parc national de Bouba Ndjida par une faction de la milice soudanaise Janjawid. Cette attaque aurait été orchestrée par des clans soudanais affiliés aux Janjawids, et des membres des Forces de soutien rapide du Soudan. À l’époque, le parc n’était protégé que par cinq gardes forestiers équipés de fusils MAS 35 obsolètes, appuyés par une vingtaine de villageois dotés d’armes traditionnelles.
Cet événement tragique a poussé le Cameroun à adopter une stratégie de militarisation verte qui intègre des approches militaires dans les pratiques de conservation.
L’opération « Paix » à Bouba Ndjida illustre cette approche : chaque année, entre décembre et mai, 600 soldats, 60 véhicules de combat, un escadron aérien du bataillon d’intervention rapide et une unité d’élite de l’armée camerounaise sont déployés. Cette période coïncide avec la migration en saison sèche des éléphants à travers la frontière Tchad-Cameroun vers les sources d’eau du parc - et une recrudescence du braconnage.
L’opération a contribué à la protection des éléphants et renforcé la sécurité locale. Selon les témoignages des communautés, des autorités et des militaires, la présence militaire réduit significativement le braconnage, le vol de bétail et les prises d’otages entre décembre et début juin.
Cette apparente accalmie peut être trompeuse, car les criminels déplacent souvent leurs activités vers le sud, à Belel, dans l’Adamaoua, pendant l’opération militaire annuelle. En saison des pluies, lorsque les militaires se retirent, les prises d’otages et les vols de bétail repartent à la hausse.
Les braconniers utilisent des téléphones et images satellites pour localiser et braconner les éléphants
La dissuasion exercée au Cameroun a également poussé les braconniers vers les zones frontalières avec le Tchad. Équipés d’AK-47 et de grenades propulsées par fusée, ils contournent constamment les dispositifs de l’État. Grâce à des téléphones satellitaires, des GPS et des images satellites, ils localisent et braconnent les éléphants.
Au-delà de la menace sur la faune, la présence de ces braconniers armés met en péril la sécurité des communautés, des gardes forestiers et de l’armée. Le tourisme à Bouba Ndjida, source vitale de revenus, est gravement affecté. Les chasseurs fortunés des États-Unis, du Mexique, de l’Allemagne, de la France et de l’Afrique du Sud évitent désormais la région.
Bien que l’opération « Paix à Bouba Ndjida » coûte environ 2 millions de dollars par an, son abandon n’est pas envisageable. En 2018, une réduction de la présence du Bataillon d’intervention rapide après plusieurs années de calme relatif a entraîné un retour immédiat des braconniers, causant la mort de six soldats camerounais et de deux guides locaux.
Bouba Ndjida souffre d’un manque criard de gardes forestiers, qui opèrent dans des conditions difficiles, sans équipement ni protection suffisants. Ces lacunes justifient la poursuite de l’opération « Paix », a affirmé un haut gradé du quartier général de l’armée à Yaoundé au projet ENACT.
Cependant, la militarisation seule est insuffisante. Le Cameroun doit impliquer activement les communautés locales dans la lutte contre le braconnage à travers des campagnes de sensibilisation. Cela renforcerait leur engagement envers le parc en tant que sanctuaire et les encouragerait à préserver leur patrimoine environnemental pour les générations futures.
L’opération « Paix » coûte environ 2 millions de dollars par an, mais son abandon n’est pas envisageable
Cette responsabilité sera d’autant plus ancrée si les autorités garantissent une répartition équitable des redevances sur la faune sauvage aux populations locales, conformément aux dispositions financières et fiscales de la loi sur la sylviculture et la faune.
La coopération transfrontalière est également cruciale. L’accord entre le Cameroun, le Tchad et la République centrafricaine, ainsi que le plan régional de lutte contre le braconnage de 2013, ont constitué des avancées majeures. De plus, une collaboration informelle entre ces pays permet l’échange de renseignements sur les braconniers soudanais, qui parcourent de longues distances à travers le Tchad et la RCA pour opérer au Cameroun.
Toutefois, cette coopération doit être renforcée par les actions spécifiques décrites dans la composante 2 de la stratégie 2015 de l’Union africaine sur la lutte contre l’exploitation et le commerce illicites de la faune et de la flore sauvages en Afrique. Les pays d’Afrique centrale, à l’exception du Congo-Brazzaville déjà membre, devraient également rejoindre la Task Force de l’Accord de Lusaka, qui coordonne les opérations de lutte contre le braconnage et le trafic illégal d’espèces sauvages.
Enfin, face aux impacts sécuritaires et économiques du braconnage des éléphants en Afrique centrale, des brigades mixtes de lutte contre le braconnage devraient être activées. Elles sont prévues par l’accord binational Sena Oura-Bouba Ndjida, signé en 2011 entre le Tchad et le Cameroun.
Cet article a été publié pour la première fois par ENACT.
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