Le FMI fait-il son grand retour en Afrique ?
La COVID-19 et la guerre en Ukraine ont préparé le terrain pour un rapprochement et une nouvelle ère d’engagement.
Ce n’est un secret pour personne que la majorité des économies africaines traverse des moments difficiles depuis quelques années. Les finances ont été durement touchées par deux crises mondiales – la pandémie de COVID-19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ces crises sont survenues au moment où les amortisseurs budgétaires et monétaires étaient au plus bas et où les dérapages en matière de gouvernance étaient légion, sur fond d’amplification des problèmes existants par la pandémie.
En 2020, l’Afrique a connu sa première récession en 25 ans, les économies s’étant effondrées en raison de la fuite des capitaux, de la chute des prix des produits de base et de la pandémie. Malgré quelques améliorations en 2021, la plupart des pays continuent à se débattre, pris dans le trilemme de la dette, de la maladie et des dysfonctionnements. En 2022, à l’issue de la pandémie, alors que les attentes se tournaient enfin vers la relance, la crise entre la Russie et l’Ukraine a attiré l’attention sur les risques et les réformes.
Compte tenu de cette dynamique, les gouvernements ont cherché une aide financière pour réduire les nombreuses pressions, notamment la hausse rapide des prix des denrées alimentaires et des carburants. De manière quelque peu surprenante, l’attention s’est tournée vers le Fonds monétaire international (FMI). Or, le FMI a toujours été considéré avec suspicion en Afrique en raison de son héritage d’austérité et de programmes d’ajustement structurel. Mais les choses semblent changer, puisqu’il intervient dans 20 des 54 pays d’Afrique, et ce n’est que le début.
Ces 12 derniers mois, de nombreux États, dont la Zambie et le Mozambique, ont appelé le FMI à l’aide. Ces deux pays se trouvaient dans des conjonctures critiques. La Facilité élargie de crédit (FEC) récemment approuvée pour le Mozambique intervient au moment où ce dernier cherche à renforcer le soutien des investisseurs en prévision du boom de son gaz naturel liquéfié. Quant à la Zambie, elle est en attente d’une Facilité élargie de crédit qui lui permette de combler son manque de crédibilité auprès des principales parties prenantes, alors que la restructuration de sa dette se poursuit.
De nombreux États, dont la Zambie et le Mozambique, ont récemment demandé de l’aide au FMI
Ces cas font suite au succès relatif des Mécanismes élargis de crédit en Égypte (2016-2019) et en Angola (2018-2021). Ces programmes n’ont pas été mis en œuvre à des moments charnières, contrairement à la situation du Mozambique et de la Zambie. Mais les analystes pensent que les réformes entreprises en Angola et en Égypte – en particulier dans le domaine monétaire – ont permis de faciliter de brusques redressements économiques et de restaurer la crédibilité des politiques publiques.
Dans le même temps, certains pays, comme le Kenya, sont des « utilisateurs réguliers » des services du FMI. Entre 2011 et 2022, le Kenya a bénéficié de deux FEC et de deux Facilités de crédit de confirmation, qui constituent une assurance efficace contre les défis exogènes et endogènes.
Compte tenu de l’aversion idéologique qui prévalait auparavant en Afrique, cela marque un changement d’attitude évident. Les questions qui se posent d’emblée sont les suivantes : qu’est-ce qui motive ce rapprochement avec le FMI ? Et est-ce un signe des temps à venir sur le continent ?
Ces tendances s’expliquent par plusieurs raisons, et, en premier lieu, par l’impact économique de la pandémie. En l’absence d’autres pistes, le FMI est devenu le prêteur de dernier recours pour de nombreux pays, leur offrant une aide financière d’urgence et un allègement du service de la dette. En intervenant au moment le plus critique pour éviter une catastrophe, le FMI a suscité chez les bénéficiaires un sentiment de bonne volonté.
Le FMI est potentiellement un levier financier majeur pour Washington, qui souhaite étendre son influence en Afrique
Deuxièmement, l’approche du FMI a changé. Piqué au vif par les critiques de longue date qui considéraient ses politiques inadaptées, le FMI, sous la direction de Kristalina Georgieva, s’est efforcé de se montrer plus pragmatique et exhaustif, et de mieux apprécier les réalités contemporaines. Ses partisans estiment qu’il s’agit là d’une évolution positive. Toutefois, ses détracteurs font valoir que le FMI applique dorénavant une orientation politique quasi « de gauche » et qu’il se montre trop laxiste à l’égard des marchés en développement qui abusent de sa bienveillance et continuent de vivre au-dessus de leurs moyens.
Ensuite, il y a le soft power. La plupart de ses financements provenant des États-Unis, le FMI constitue potentiellement un levier de financement majeur pour Washington afin d’étendre son influence en Afrique, en particulier dans le contexte actuel de compétition mondiale entre les puissances. Dans une situation où la rivalité entre les États-Unis et la Chine s’intensifie et où le système multilatéral se divise à la suite de la crise ukrainienne, l’Afrique est une région importante pour les puissances qui souhaitent étendre leur influence stratégique après la pandémie.
Troisièmement, il existe des avantages potentiels pour les gouvernements africains. La conjoncture de nombreux pays exige de procéder à des réformes politiquement difficiles, et le recours au FMI dans le rôle du « méchant flic » peut leur permettre de conserver leur capital politique dans des circonstances difficiles. Alors que l’on spécule sur le fait que le Ghana pourrait bientôt avoir recours au FMI pour alléger certaines de ses pressions économiques, la rhétorique des responsables politiques qui se sont déchaînés contre le FMI en dit long.
En janvier, le ministre ghanéen des Finances, Ken Ofori-Atta, a déclaré : « Lorsque nous appliquions le programme du FMI, nous ne pouvions pas payer les infirmières et les enseignants. Nous ne pouvions plus embaucher en raison des restrictions. D’une certaine manière, nous avons oublié combien ce maître de Washington était difficile et tenace. Nous pouvons donc traiter avec eux pour leur demander des conseils, mais nous ne devons plus jamais participer à un programme du FMI. »
Le recours au FMI comme « mauvais flic » permet aux États africains de conserver leur capital politique dans des circonstances difficiles
D’autre part, un changement de volonté politique commence à se manifester dans le cadre de la vague progressive de changements de dirigeants à travers l’Afrique, à mesure que la vieille garde est remplacée. Il semble que les gouvernements sont de plus en plus disposés à mener des réformes plus impopulaires dans le cadre des programmes du FMI – sans en rejeter la responsabilité sur autrui.
En effet, après l’arrivée de Félix Tshisekedi à la présidence de la République démocratique du Congo et de João Lourenço à la tête de l’Angola en 2018, des réformes guidées par le FMI ont été engagées – et ce, sans animosité. Cela faisait suite à des années d’abus sous leurs prédécesseurs. Idem pour la Zambie après la victoire électorale de Hakainde Hichilema en 2021.
Ces dynamiques sont sous-tendues par le fait que d’autres sources de financement, comme le marché des euro-obligations, sont devenues moins attrayantes en raison de la hausse des taux d’intérêt et de l’aversion croissante pour le risque dans les pays développés. La Chine se montre également plus difficile dans le choix de ses prêts extérieurs, compte tenu de l’accroissement de ses préoccupations intérieures.
Les récents développements au Sri Lanka pourraient être un signe avant-coureur des événements à venir, si les responsables politiques africains ne remettent pas de l’ordre dans leurs affaires. Pendant des années, son gouvernement a rejeté les propositions d’aide du FMI, préférant s’allier à des pays comme la Chine pour répondre à ses besoins financiers. Aujourd’hui en faillite, le Sri Lanka se retrouve dans le service des blessés du FMI et au bord de l’effondrement économique.
Entretemps, les États africains doivent veiller à ce que les programmes du FMI servent de points d’ancrage à des réformes à plus long terme pour leur permettre d’atteindre l’autosuffisance et de réduire leur dépendance future. À défaut, ils risquent de se retrouver dans une situation similaire à celle de l’Argentine – une situation perpétuelle nécessitant un soutien constant du FMI pour se maintenir à flot.
En ce qui les concerne, les investisseurs s’enthousiasment de l’engagement du FMI, considérant sa présence comme un point d’ancrage symbolique des politiques. La transparence, la supervision et la responsabilité qui prévalent dans les programmes du FMI sont considérées comme des points positifs à même de stimuler la croissance économique. Les investisseurs apprécient également la cohérence et la continuité des politiques des programmes du FMI. L’amélioration du sentiment des investisseurs a un effet d’entraînement sur les flux de portefeuille et sur les investissements à long terme.
Prises ensemble, ces tendances semblent indiquer une nouvelle ère d’engagement du FMI. Cette fois-ci, les choses seront-elles différentes ? Si les critiques ont raison de se montrer sceptiques eu égard à l’expérience passée, il convient d’examiner le contexte actuel avant de porter des jugements hâtifs.
Les programmes du FMI ne sont en eux-mêmes ni la panacée ni un cadeau empoisonné, comme on a voulu le faire croire. Utilisés de manière pragmatique pour résoudre des problèmes structurels, de concert avec d’autres accords de financement, ils peuvent se montrer efficaces pour aider le continent à sortir du marasme économique actuel.
Ronak Gopaldas, consultant ISS, directeur chez Signal Risk et CAMM Fellow au Gordon Institute of Business Science, et Daniel Van Dalen, analyste de risque pays, Signal Risk
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