La défaite de Ramkalawan traduit-elle la maturité de la démocratie seychelloise ?
Le retour au pouvoir de l’ancien président pourrait témoigner de l’enracinement d’une alternance démocratique pacifique aux Seychelles.
La victoire de l’ancien président Patrick Herminie au second tour de la présidentielle aux Seychelles a été saluée comme un succès pour les forces d’opposition en Afrique et un revers pour les présidents sortants, souvent perçus comme les symboles persistants des dérives du pouvoir sur le continent.
Assimilée à la récente victoire au Malawi d’un autre ancien président, Peter Mutharika, elle illustre toutefois une tendance préoccupante : même lorsqu’ils parviennent à briser l’emprise de régimes installés depuis des décennies, les opposants peinent à conserver le pouvoir durablement.
Vainqueur de Lazarus Chakwera, Peter Mutharika, a été président du Malawi de 2014 à 2020, comme son frère, Bingu wa Mutharika, qui avait occupé cette fonction de 2005 à 2012. Son départ en 2020 intervint suite à une décision judiciaire historique annulant sa victoire de 2019.
De même, Herminie a battu Wavel Ramkalawan, qui n'a exercé qu'un seul mandat. La victoire de ce dernier en 2020 avait été acclamée comme étant un tournant historique : après six tentatives, il avait enfin détrôné le parti United de Danny Faure, qui, sous différents noms, dominait le pays depuis 1977.
Présenté comme un réformateur, Ramkalawan a promis de renforcer de la protection sociale et de relancer l’économie après la pandémie de COVID-19, qui avait durement frappé le tourisme, pilier de l’économie seychelloise. Cinq ans plus tard, les électeurs ont jugé son bilan insuffisant et l’ont sanctionné dans les urnes avec 47,3% de votes.
Les Seychellois sont de plus en plus préoccupés par le climat, notamment la montée du niveau des océans
Le parti United Seychelles d'Herminie contrôle désormais le paysage politique. Après sa large victoire le mois dernier aux législatives, il a repris le parlement à la coalition de Ramkalawan, Linyon Demokratik Seselwa.
United Seychelles est l’héritier du Seychelles People's United Party fondé par René, qui avait renversé James Mancham en 1977, un an après l'indépendance du pays vis-à-vis de la Grande-Bretagne. René avait instauré un État socialiste à parti unique, avant d’introduire à contrecœur le multipartisme en 1991 après l'effondrement de l'Union soviétique. Il remporta la première présidentielle multipartite en 1993. Le parti a conservé la majorité parlementaire jusqu'en 2016 et la présidence jusqu'en 2020.
Ramkalawan, ancien prêtre anglican, s'est présenté pour la première fois aux élections en 1998. Sa victoire de 2020, à sa sixième tentative, devait symboliser une nouvelle ère. Pourquoi ne fut-ce pas le cas ?
Bien qu'Herminie soit issu d’une tradition socialiste, ses positions économiques diffèrent peu de celles de Ramkalawan.
Tous deux ont mené des campagnes centrées sur les mêmes priorités : protection de l’environnement et lutte contre la toxicomanie, fléau qui touche entre 5 000 et 10 000 personnes sur 120 000 habitants. Médecin et ancien chef de l'agence nationale antidrogue, Herminie disposait d’un avantage évident sur ce terrain.
Ramkalawan a fait campagne sur son bilan, vantant la relance économique post-COVID-19 et l’élargissement des protections sociales. Herminie l'a pourtant accusé de corruption, non sans ironie, tant son propre parti, United Seychelles, reste entaché par des décennies de scandales. Le candidat médecin a aussi su capitaliser sur une sensibilité croissante de ses compatriotes aux enjeux écologiques. Il s’est engagé à annuler un projet hôtelier financé par le Qatar, jugé menaçant pour un atoll corallien classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Dans sa volonté de tourner la page de l'ère René, Ramkalawan a peut-être basculé dans l'autoritarisme
Ce positionnement a fortement résonné dans un pays directement exposé à la montée des océans, particulièrement inquiétante pour l’État insulaire. «Tous les candidats ont promis de sauver l'océan, mais certains cherchaient surtout à pêcher des voix. Le projet hôtelier est vite devenu un symbole de cette hypocrisie et Herminie a su en tirer parti avec brio », explique David Willima, chercheur sur les risques maritimes et climatiques à l'Institut d'études de sécurité.
Enfin, Herminie s'est distingué en promettant d’appliquer les recommandations du rapport de 2023 de la Commission vérité et réconciliation, qui a enquêté sur les violations des droits humains commises pendant le coup d'État de 1977 et préconisait l'indemnisation des victimes.
Des arrestations ont suivi la publication du rapport, notamment celle de Sarah Zarqani-René, veuve de l’ancien président, pour blanchiment de 50 millions de dollars et détention d'armes, selon le Centre africain d'études stratégiques.
Mais certains observateurs dénoncent toutefois l'autoritarisme de Ramkalawan dans ce dossier. En avril 2024, Africa Confidential notait que ces pratiques « risquent de nuire à la crédibilité démocratique du gouvernement Ramkalawan. Les accusés dénoncent de mauvais traitements et des conditions de détention inhumaines. » Cette dérive lui a peut-être coûté sa réélection.
Africa Confidential soulignait également que la flambée du coût de la vie jouait aussi en sa défaveur. « [Sa] dépendance croissante à l’égard des Émirats arabes unis et du Qatar qui investissent massivement dans le tourisme insulaire, soulève des interrogations sur la responsabilité, la préservation de l'environnement, et leur contribution à une économie nationale plus équilibrée ».
Les difficultés économiques persistantes et la répartition inégale des richesses ont sans doute davantage pesé sur le vote que les promesses de réforme. Malgré un PIB par habitant parmi les plus élevés d’Afrique (17 858 dollars en 2024), bien qu’il en soit le plus petit pays, 23% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté
Pays le plus riche d’Afrique, les Seychelles affichent 23 % de pauvreté, signe de fortes inégalités
« Le résultat suit un schéma souvent observé lorsque des partis longtemps au pouvoir reviennent sur le devant de la scène après une défaite », explique Joseph Siegle, directeur de recherche au Centre africain d'études stratégiques, à ISS Today. « Ils disposent encore d'une infrastructure de communication performante et bien financée, et de solides réseaux d’influence. »
Ce paradoxe leur a permis de dénoncer la corruption et la mauvaise gestion environnementale de Ramkalawan, alors qu'ils étaient eux-mêmes réputés pour des excès similaires pendant leur long mandat au pouvoir.
Quoi qu'il en soit, les Seychelles disposent de l'un des paysages médiatiques les plus indépendants d'Afrique et figurent parmi les pays les mieux classés en matière de lutte contre la corruption, des atouts essentiels pour maintenir la transparence et la responsabilité publique ».
Peut-être les électeurs, aux Seychelles comme ailleurs, ont-ils simplement exprimé le réflexe classique de sanctionner le président sortant, espérant que le camp adverse ferait mieux. Serait-ce le début d’une nouvelle stabilité politique où le pouvoir changerait de main selon les différences de programmes plutôt que selon les clivages idéologiques, ethniques ou de classe ?
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