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L’Afrique du Sud doit aller au-delà des poursuites pour endiguer la corruption

Les graves affaires de corruption sont particulièrement difficiles à juger. Il faut des solutions innovantes qui favorisent la prévention.

L’opinion publique en Afrique du Sud considère les poursuites judiciaires comme le principal remède à la corruption. Mais les enquêtes judiciaires ne fonctionnent pas de manière optimale dans les affaires de corruption complexes. Nous devons en comprendre les raisons et chercher d’autres moyens de responsabilisation.

Les performances de l’Afrique du Sud dans l’Indice de perception de la corruption de Transparency International ont baissé entre 2009 et 2018 sous la présidence de Jacob Zuma (voir figure). Les mesures visant à responsabiliser les acteurs de la corruption, telles que la Commission Zondo ont entrainé une légère amélioration. Mais, le fléchissement récent reflète la perception du public selon laquelle les efforts s’essoufflent.

Il est souvent difficile de mener des poursuites à terme dans les grandes affaires de corruption parce que les suspects sont des personnes très puissantes généralement chargées de faire respecter l’état de droit. Selon la Dr Abiola Makinwa, experte au sein du groupe d’experts des Nations Unies sur la responsabilité financière, la transparence et l’intégrité, « le risque de poursuites est faible pour les crimes [...] qui font le plus de ravages dans la société en raison d’un manque de volonté politique ».

Les problèmes inhérents au système juridique font de la corruption un crime difficile à condamner, même pour les pays disposant de ressources suffisantes. Jonathan Benton, ancien responsable de la criminalité financière à New Scotland Yard, qui a dirigé l’action du Royaume-Uni en matière de lutte contre la corruption de haut niveau, a déclaré à l’auteure que « les dés sont pipés » pour les procureurs et que les accusés « ont toutes les cartes en main ».

Les systèmes de justice pénale ont évolué au fil des siècles pour trancher des crimes tels que le meurtre, lorsqu’il y a une victime identifiable, des preuves et des témoins. Mais la corruption est un crime moins évident, commis par des réseaux de personnes qui souhaitent garder leurs activités secrètes. Ce secret est souvent imposé par la violence, de sorte qu’il y a rarement des témoins consentants.

Les grandes affaires de corruption sont souvent le fait d’équipes de professionnels qui créent plusieurs couches de sociétés transnationales en vue de dissimuler les preuves et les produits du crime. Les systèmes judiciaires peinent à endiguer la corruption mondialisée du XXIe siècle, où l’argent est transféré instantanément d’un pays vers d’autres juridictions soumises au secret bancaire, ou encore dans le métavers. Les procédures d’entraide judiciaire pour la coopération internationale dans les enquêtes sont dépassées et lentes.

Hong Kong ne reconnaît pas le droit de garder le silence dans les affaires de corruption

Les accusés ont plusieurs cartes en main, dont l’argent. Les personnes et les entreprises impliquées dans des affaires de corruption grave peuvent surpasser les forces de l’ordre en engageant plus d’avocats que l’État peut en supporter.

Une autre carte est le droit à un procès équitable. Le droit de l’accusé de garder le silence est justifié, mais dans les affaires de corruption complexes, il constitue un obstacle majeur pour les forces de l’ordre. Lorsqu’une partie n’est pas obligée de donner sa version à un stade précoce de la procédure, les autorités abordent l’affaire à l’aveugle. Elles ont du mal à se préparer, à obtenir les preuves et à interroger les bons témoins.

Dans les affaires de corruption complexes, les procureurs doivent donc prévoir tous les scénarios, ce qui entraîne un gaspillage de ressources et des poursuites inefficaces. Dans certaines juridictions comme Hong Kong, le droit de garder le silence n’existe pas dans ce type d’affaires, et le refus de répondre aux questions des enquêteurs constitue une infraction pénale.

Une autre carte détenue par l’accusé est la charge de la preuve pénale, au-delà de tout doute raisonnable, qui est un seuil extrêmement difficile à atteindre dans les affaires de corruption. Les mesures de lutte contre la corruption fondées sur une charge de la preuve moins lourde – un équilibre des probabilités – tendent à obtenir de meilleurs résultats devant les tribunaux.

En Afrique du Sud, l’action civile contre la corruption est plus efficace qu’un procès pénal

En Afrique du Sud, les actions civiles contre la corruption sont plus efficaces que les actions pénales. L’Unité spéciale d’investigation est une agence gouvernementale qui récupère les pertes financières subies par l’État en raison de la corruption. Elle a un palmarès impressionnant de victoires judiciaires ordonnant à des entreprises de restituer des biens mal acquis.

L’unité de confiscation des actifs de l’Autorité nationale des poursuites (NPA), exploite également les avantages des procédures civiles pour récupérer les produits du crime. Dans des affaires de mainmise de l’État, elle a gelé 14 milliards de rands et récupéré 11 milliards de rands.

Les organisations de la société civile ont intenté d’autres actions civiles. L’organisation Undoing Tax Abuse a utilisé de manière créative la loi sur les sociétés pour que Dudu Myeni, l’ancien président du conseil d’administration de South African Airways impliqué dans la capture de l’État, soit déclaré administrateur contrevenant et interdit de tout poste d’administrateur.

La corruption n’est pas un délit administratif en Afrique du Sud, contrairement aux États-Unis, où la Securities and Exchange Commission doit établir la responsabilité administrative en matière de corruption. Les affaires sont également jugées sur la base de la prépondérance des probabilités et sont donc plus faciles à prouver – et peuvent donner lieu à des amendes plus lourdes que les sanctions pénales. L’application de mesures anticorruption similaires en Afrique du Sud serait une réforme intéressante.

La culture organisationnelle peut faciliter la corruption sans toutefois être une activité criminelle

Le recours aux accords hors procès (AHP) dans les affaires de corruption est un autre moyen de remédier aux limites du système. Les AHP sont une forme de coopération public-privé prévue par la Convention des Nations Unies contre la corruption et approuvée par le groupe de travail sur la corruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques.

Les AHP offrent généralement une certaine clémence aux entreprises en leur permettant d’éviter une déclaration de culpabilité. Les entreprises doivent accepter leur responsabilité, fournir des informations sur les activités des suspects, payer des amendes substantielles ou des réparations, et améliorer leurs programmes internes de conformité à la législation anticorruption.

Le ministère sud-africain de la Justice et du Développement constitutionnel envisage de rédiger un projet de loi sur les AHP. Dans l’intervalle, la NPA a élaboré une forme simple d’AHP dans le cadre d’une directive de politique générale.

Les bonnes pratiques internationales vont désormais au-delà de l’application traditionnelle de la loi pour trouver des solutions à la corruption. De nombreuses activités de corruption ne sont pas de nature criminelle. Par exemple, les cultures organisationnelles peuvent faciliter la corruption, et le harcèlement dissuade les individus de défendre leurs valeurs – mais ce n’est pas un crime.

En mettant l’accent sur la répression, le système juridique se tourne vers le passé – sans toutefois prévenir des pertes futures. Selon une nouvelle étude de l’Institut d’études de sécurité (ISS), de nombreuses réformes réussies en matière de corruption sont locales, à petite échelle, propres aux secteur et institution – et axées sur la prévention.

Les réussites du Réseau maritime anticorruption (MACN) du port de Lagos, au Nigeria, en sont un exemple. Ce projet d’action collective rassemble des entreprises, la société civile et le gouvernement pour réduire la corruption dans les ports du monde entier. Dirigés par l’homme d’affaires Soji Apampa, ses membres collaborent avec les institutions gouvernementales pour introduire des procédures opérationnelles normalisées dans les ports.

Le signalement transparent et en temps réel par les capitaines de navires a des conséquences immédiates pour les fonctionnaires qui sollicitent un pot-de-vin. L’action collective sectorielle contre la corruption est une approche complémentaire importante des mesures traditionnelles d’application de la loi.

L’étude de l’ISS recommande à l’Afrique du Sud d’utiliser tous les outils disponibles pour s’attaquer au fléau de la corruption. Il faudra notamment réformer la législation, renforcer les institutions chargées de l’application de la loi, instaurer une culture de l’intégrité au sein du gouvernement et collaborer avec la société civile et le secteur privé pour favoriser la prévention.

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