Un nouveau champion pour les réformes de l’Union africaine

Malgré certains progrès, de nombreuses réformes restent bloquées. Le président kenyan William Ruto saura-t-il les relancer ?

En 2016, les dirigeants africains ont reconnu qu’il était urgent de réformer en profondeur l’Union africaine (UA). L’initiative du président rwandais Paul Kagame visait à réaligner les institutions de l’UA pour améliorer sa prestation de services, son efficacité opérationnelle, parvenir à un financement durable et renforcer la connexion de l’organisation avec les citoyens africains.

Certaines étapes ont été franchies depuis le début de sa mise en œuvre en 2018. Une nouvelle équipe de gestion a été constituée, de nouveaux directeurs ont été nommés, le nombre de départements de la Commission de l’UA a été réduit, la représentation des sexes et des régions au niveau de la direction a été renforcée, un système de recrutement fondé sur le mérite a été introduit et tous les départements ont fait l’objet d’un audit et d’une évaluation des compétences.

Des progrès notables ont été accomplis dans l’installation du Fonds pour la paix de l’UA, principal instrument de financement des activités de paix et de sécurité lancé en novembre 2018. Ses structures de gouvernance sont pleinement fonctionnelles, à l’exception du groupe d’évaluation indépendant qui devrait être mis en place cette année.

Le Fonds pour la paix a recueilli 384 millions de dollars US, soit 96 % de l’objectif initial de 400 millions de dollars, entièrement auprès des États membres de l’UA. En 2023-2024, 22 millions de dollars ont été alloués via la Facilité de réserve de crise et des projets pilotes. Deux millions de dollars sont allés à la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est dans l’est de la République démocratique du Congo, deux millions à la Mission de transition de l’UA en Somalie et un million à l’application de l’Accord de cessation des hostilités en Éthiopie.

La Commission de l’UA est accusée de corruption et de nominations illégales à des postes de direction

Malgré ces réalisations, de nombreuses réformes doivent encore être entreprises. Certains États membres résistent et ne soutiennent pas le président Kagame en tant que champion des réformes, tandis que d’autres s’opposent à la création d’une Commission de l’UA plus puissante. Le coût élevé des réformes constitue un autre obstacle, d’abord sous-estimé.

Les retards de mise en œuvre et certaines réformes elles-mêmes, comme la réduction du nombre de sommets de l’UA, suscitent des questions sur leur effet réel sur le renforcement de l’UA.

Au début du processus, l’accent a été mis sur les ressources humaines comme solution à l’inefficacité de l’UA, plutôt que sur la non-application des décisions de l’Assemblée de l’UA. Par exemple, la déclaration du Conseil exécutif du 15 mars sur le vote pour les hauts dirigeants de 2025 ne respecte pas certaines décisions antérieures de l’Assemblée. Cela met en évidence la faiblesse des processus décisionnels et de la conformité aux règles.

L’audit et l’évaluation des compétences pour améliorer le recrutement, la diversité et la représentation de tous les États membres au sein de la Commission de l’UA, n’ont pas été suffisants. Un moratoire sur le recrutement en 2018 a conduit à une dépendance excessive envers les employés temporaires et les consultants, entraînant une forte rotation du personnel et des problèmes de performance. Bien que la plupart des employés de la Commission aient réussi l’évaluation des compétences, certains pays ont exprimé des inquiétudes quant à une possible manipulation des résultats pour exclure leurs citoyens.

L’UA est encore confrontée à des problèmes budgétaires antérieurs à la réforme

Ces doutes ont compliqué les relations de travail entre la Commission et le Comité des représentants permanents chargé des affaires courantes de l’UA au nom de l’Assemblée et du Conseil exécutif de l’UA. La Commission a été accusée de corruption et de procéder à des nominations illégales à des postes de haut niveau, au détriment de personnes compétentes.

L’adoption en 2020 de la nouvelle structure de la Commission a été laborieuse, notamment la réduction du nombre de départements de huit à six, entraînant des conflits de répartition des tâches.

La création du département des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité, fusion de deux départements, permet de renforcer les synergies, mais le manque de coordination et la concurrence entre les directions, notamment en matière de surveillance des élections, posent problème. De plus, le positionnement du système continental d’alerte précoce de l’UA dans la catégorie « gestion des conflits » a entravé sa capacité à anticiper et à prévenir les conflits.

Le financement reste un autre obstacle. Cinq ans après le début du processus, l’UA est toujours confrontée aux problèmes budgétaires chroniques antérieurs à la réforme, notamment une faible exécution du budget et des dépenses non approuvées. La dépendance excessive aux financements extérieurs est également préoccupante, avec plus de 85 % du budget de programme de l’UA provenant de partenaires extérieurs tels que l’Union européenne.

D’autre part, les contributions et les décaissements du Fonds pour la paix restent insuffisants, en particulier face à l’aggravation de l’insécurité dans certaines régions d’Afrique. En outre, de nombreux États membres hésitent à honorer leurs engagements. Au 31 octobre 2023, seuls 31 des 55 États membres avaient versé 100 % de leurs contributions annuelles, ce qui laisse un déficit de 56,3 millions de dollars. Cela réduit l’appropriation des programmes de l’UA et son autonomie financière.

Ruto peut désormais œuvrer pour concrétiser le changement qu’il préconise pour l’UA

Lors du sommet de l’UA de février, Kagame a exprimé sa frustration face à la lenteur des réformes, dénonçant la résistance des États membres à une véritable transformation. Ayant défendu le processus depuis ses débuts, le passage de témoin au président kenyan William Ruto offre l’occasion à celui-ci de consolider les acquis et de relancer la dynamique.

Ruto a souligné la nécessité d’une véritable réforme pour permettre à l’UA de réaliser ses priorités, notamment en la renforçant et en faisant en sorte qu’elle ait son autonomie financière. Il a également plaidé pour une cession partielle de souveraineté des États membres pour renforcer la Commission de l’UA, déclarant clairement que l’UA avait besoin d’être « réparée ». Désormais, Ruto peut œuvrer pour concrétiser le changement qu’il préconise.

Le Kenya est bien placé pour ce rôle : il est l’un des six principaux contributeurs au budget ordinaire de l’UA, versant environ 7,2 millions de dollars chaque année. Sur le plan géopolitique, Ruto est une voix africaine de premier plan pour la réforme de l’agenda climatique mondial et des organismes financiers et politiques multilatéraux. Le nouveau champion devra faire pression sur les États qui résistent au changement et les inciter à s’engager, tout en abordant la délicate question du renforcement des pouvoirs de la Commission.

L’efficacité de l’UA dépendra d’une commission forte et dotée de capacités suffisantes, et de la mise en œuvre cohérente des décisions. Ruto devra consulter les États membres, la Commission et les partenaires de l’UA, tout en renforçant les relations entre le Comité des représentants permanents et la Commission.

Atteindre l’autonomie financière est essentiel. L’implication des dirigeants du secteur privé africain pourrait revitaliser l’UA et assurer que les réformes prioritaires parviennent à leur terme.

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