Processus de paix au Mali : un pas en avant, deux pas en arrière
Le 18 janvier dernier, le Mali a subi l'attentat le plus meurtrier depuis le début de la crise de 2012.
Le 18 janvier dernier, le Mali a connu l’attaque la plus meurtrière depuis le début de la crise de 2012, lors d’un attentat-suicide à Gao qui a fait près de 80 tués et plus d’une centaine de blessés.
Une semaine plus tard, le 26 janvier, les services de renseignements maliens ont procédé à l’arrestation, à Bamako, de deux individus soupçonnés de planifier un attentat dans la capitale. Ils appartiendraient au groupe Al Mourabitoune, allié à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
C’est ce groupe qui avait revendiqué l’attaque contre le camp du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) à Gao.
Ce jour-là, près de 600 soldats des forces armées maliennes, de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et de la Plateforme des groupes d’auto-défense étaient réunis dans le camp pour préparer ce qui devait être le début de l’opérationnalisation des patrouilles mixtes conjointes.
Celles-ci devaient permettre de mieux sécuriser les nombreuses zones, notamment dans la partie septentrionale du pays, qui échappent toujours au contrôle des autorités maliennes.
La menace a radicalement changé de forme depuis l’opération Serval en 2013 avec un repli des groupes terroristes dans les zones rurales délaissées. Les patrouilles mobiles devaient servir à combler le vide sécuritaire.
Le MOC a pendant longtemps cristallisé les passions et constitué un point de blocage dans le processus de paix
Al Mourabitoune a donc tenté d’enrayer un mécanisme qui le menaçait tout en envoyant un message de mise en garde à tous ceux qui collaboraient avec les forces internationales, notamment françaises. Ce coup dur, porté à ce dispositif considéré comme une avancée dans la mise en œuvre de l’accord de paix de juin 2015, risque de fragiliser davantage un processus de paix déjà chancelant.
Le MOC a pendant longtemps cristallisé les passions et constitué un point de blocage dans le processus de paix. Sa mise en place, prévue 60 jours après la signature de l’accord – soit en août 2015 – a été retardée à maintes reprises.
Sa concrétisation a longtemps été à la remorque de sujets de nature plus politique. Les groupes armés ont souvent joué cette carte pour faire avancer, par exemple, la question des autorités intérimaires chargées d’administrer dans le Nord les zones où l’État est absent.
Les divergences au sein des mouvements signataires sur la répartition des combattants dans le MOC auxquelles s’est ajoutée l’émergence en septembre et octobre 2016 de deux nouveaux groupes armés – le Mouvement pour le salut de l’Azawad et le Congrès pour la justice dans l’Azawad – ont longtemps constitué un frein à la mise en place des patrouilles mixtes.
À court terme, l’attentat de Gao risque de miner davantage la confiance qui peinait déjà à s’établir entre les principaux protagonistes
Les tensions suscitées autour du mécanisme ont conduit certains à émettre l’hypothèse de complicités avec les groupes armés ou des individus s’estimant lésés dans l’attribution des places.
Aucune preuve formelle ne permet cependant de l’étayer d’autant que des victimes issues des différents camps ont été enregistrées.
Cette tragédie a donné lieu à des appels à l’unité qui se sont traduits en actions communes pour la classe politique malienne, mais pas à l’intérieur des deux coalitions de groupes armés.
Dès le 22 janvier, le Groupe d’auto-défense touareg Imghads et alliés (GATIA), l’un des principaux mouvements de la Plateforme, a accusé la CMA d’avoir attaqué ses positions près de Tin-Essako dans la région de Kidal. Ce que cette dernière a formellement démenti.
À court terme, l’attentat de Gao risque de miner davantage la confiance qui peinait déjà à s’établir entre les principaux protagonistes. Ce déficit a même conduit les uns et les autres à s’accuser mutuellement sur les lieux de l’attaque dans les minutes qui ont suivi la déflagration.
La possibilité d’un retour à la case départ ne peut pas non plus être complètement écartée. L’installation du MOC est le résultat d’un consensus mou et de combinaisons qui n’ont pas été totalement acceptées par les différentes parties, notamment au sein des coalitions des groupes armés.
Les populations, en particulier celles du Nord, attendent un véritable changement dans leur vie quotidienne
Lors de son installation, les groupes armés et les populations locales ont protesté et dénoncé un manque d’inclusion. Il ne faut pas oublier que la mise en place du dispositif a duré 18 mois quand l’accord de paix en prévoyait deux.
En outre, les dégâts matériels produits par l’attaque, et surtout la peur - liée parfois au choc psychologique - qui a gagné de nombreux jeunes qui s’étaient enrôlés dans les rangs des groupes armés pour bénéficier des subsides alloués aux combattants, maintiennent le doute sur une reprise immédiate du processus.
Au-delà des réponses de circonstances, il faudra tirer les leçons de cette tragédie. En attendant les conclusions de l’enquête initiée par la justice malienne, il est nécessaire de s’interroger sur les conditions dans lesquelles cet attentat a été commis avec une relative facilité dans un lieu abritant autant d’hommes en arme. Une situation comme celle du Mali appelle à plus de rigueur dans le choix des hommes et de professionnalisme de la part des responsables de la sécurité.
Il incombe aux différents acteurs d’éviter à tout prix de succomber aux sirènes de la division qu’un acte de cette nature pourrait engendrer. En ce sens, la Conférence d’entente nationale, annoncée par le président Ibrahim Boubacar Keita pour mars 2017, pourrait être une occasion à saisir pour parvenir à une identification consensuelle des défis majeurs auxquels le Mali est confronté, aplanir certaines divergences et avancer dans la mise en œuvre de l’accord de paix.
Plus qu’une relance du MOC, dont l’utilité paradoxalement est démontrée par cet attentat, les populations, en particulier celles du Nord, attendent un véritable changement dans leur vie quotidienne.
Ibrahim Maïga, chercheur, ISS Dakar