L’Union africaine aurait dû être plus présente dans la médiation Ukraine-Russie

La mission de paix africaine offrait une excellente occasion de revaloriser le rôle du continent sur la scène internationale.

Les répercussions du conflit sur les denrées alimentaires, les engrais et le carburant sont autant de raisons pour lesquelles l’Afrique souhaite une fin rapide de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le continent devenant le théâtre d’une concurrence géopolitique accrue, la mission menée en juin par sept pays africains en Ukraine et en Russie représentait un changement radical dans la stratégie diplomatique de l’Afrique face aux crises sécuritaires extérieures.

La délégation africaine a proposé un plan en dix points en vue d’une désescalade de la guerre, qui avait toutefois peu de chances de rapprocher les deux parties d’un cessez-le-feu. En dépit des efforts consentis par des puissances majeures et émergentes telles que la Chine, la Turquie et l’Indonésie, une solution pacifique au conflit est encore loin d’être trouvée.

La mission africaine n’a pas fourni de feuille de route prévoyant une médiation au-delà de ce voyage ponctuel. En outre, l’initiative a soulevé des questions quant à la pertinence des interventions diplomatiques de l’Union africaine (UA) dans les crises extérieures. La délégation agissait-elle au nom du continent ou jouait-elle le jeu de l’Afrique du Sud, qui dirigeait la mission ? Pourquoi la Commission de l’UA ne faisait-elle pas partie de la délégation ? La médiation aurait-elle dû être mandatée par l’UA ?

La mission était portée par l’aspiration de longue date à assurer une représentation significative de l’Afrique dans les affaires politiques mondiales. Cet objectif est poursuivi avec détermination par des coalitions d’États africains, qui constituent une alternative intéressante en l’absence de soutien officiel de l’UA. Les dirigeants peuvent ainsi conserver la main sur les résultats et mener une diplomatie ad hoc plus efficace.

L’initiative a soulevé des questions sur la pertinence de la diplomatie de crise de l’UA hors de l’Afrique

Cette médiation Ukraine-Russie ne s’est pas faite par le biais d’instances de haut niveau de l’UA telles que l’Assemblée ou le Bureau, qui sont les organes statutaires habilités à mandater les chefs de gouvernement pour ce type d’initiatives. Tout mandat officiel aurait nécessité un accord sur le plan de paix, et donc un long processus de négociation entre les États membres de l’UA. Compte tenu de ces obstacles, l’inclusion dans la délégation du président de l’UA, le chef d’État comorien Azali Assoumani, était l’approche politique à tenir pour conférer à la mission une participation informelle de l’UA.

Toutefois, l’organisation de la mission de médiation en dehors des structures de l’UA soulève des questions quant à la pertinence et à la position de l’organe continental dans des missions diplomatiques de haut niveau. En effet, ce type de diplomatie panafricaine ad hoc est en contradiction totale avec les appels réguliers à l’adoption de positions africaines communes, au renforcement des relations entre l’UA et les Nations unies et à la représentation de l’UA au sein du G20.

Par ailleurs, c’est la deuxième fois depuis le début de la guerre qu’une initiative de diplomatie de crise conduite par l’UA échoue à susciter l’adhésion collective de ses États membres. Sans consensus sur la guerre menée par la Russie en Ukraine, les pays de l’UA se sont trouvés dans l’impossibilité de mandater une initiative de paix.

La première tentative menée en juin 2022 par Macky Sall, alors président de l’UA et président du Sénégal, et Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, prévoyait une visite en Russie, mais pas en Ukraine. Faute de mandat clair des États membres, les deux personnalités de l’UA ont appelé au début de l’année au respect de la souveraineté territoriale de l’Ukraine et à la prise en compte de l’impact économique de la guerre en Afrique.

Cette diplomatie panafricaine ad hoc est en contradiction avec les appels à des positions africaines communes

Si la participation de Moussa Faki Mahamat était une réussite pour la Commission de l’UA, sa mise à l’écart de la mission de paix de juin 2023 reflète la réticence des États membres à l’idée de voir une commission plus indépendante agir en leur nom.

La mission de juin 2022 aurait reçu la bénédiction du Bureau de l’Assemblée de l’UA. En revanche, elle ne disposait pas d’un mandat formel de l’Assemblée de l’UA ni du soutien du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, dont le mandat est perçu comme étant limité à l’Afrique. Or, l’évolution de la dynamique géopolitique et l’impact sur l’Afrique de la guerre opposant la Russie à l’Ukraine sont tels qu’il faudrait redéfinir le mandat du CPS en matière de diplomatie de crise non africaine.

La mission de paix de juin 2023 s’est exposée à des accusations de partialité car elle n’avait pas la légitimité politique d’une initiative menée par l’UA. Bien que non alignées, quatre des nations impliquées (l’Égypte, l’Afrique du Sud, la République du Congo et l’Ouganda) penchent en faveur de la Russie. La Zambie et les Comores, en revanche, sont plus proches de l’Occident.

Le leadership dont l’Afrique du Sud a fait preuve dans le cadre de la mission constitue en soi un gain pour la réputation du pays sur la scène internationale. Par contre, l’envoi présumé d’armes à Moscou par l’intermédiaire d’un navire soumis aux sanctions des États-Unis a remis en question sa crédibilité dans son rôle de chef de file. L’Égypte et l’Ouganda entretiennent également des liens avec Moscou sous la forme d’achats d’armes.

Sans le soutien de l’UA, la mission de paix s’est exposée à des accusations de partialité

Dans ces conditions, quel rôle l’UA aurait-elle pu jouer ? La mission aurait pu bénéficier de l’expérience de la Commission de l’UA en matière de diplomatie préventive et de crise de haut niveau. Une initiative de paix africaine menée par l’UA, avec peut-être un rôle plus important pour le Bureau de l’Assemblée de l’UA, aurait contribué à l’aspiration de l’organisation continentale à faire de « l’Afrique un acteur et un partenaire mondial fort, uni, résilient et influent ».

En sa qualité d’organe décisionnel permanent de l’UA pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits, l’implication du CPS dans la définition du plan en dix points aurait contribué à rapprocher l’effort de paix des travaux du Conseil sur les défis humanitaires, alimentaires et sécuritaires en Afrique.

Le continent est marqué par des dissensions profondes quant au comportement à adopter face à la résurgence de la concurrence entre grandes puissances mondiales, et il faudra du temps pour surmonter la paralysie collective actuelle. Cependant, il est important de saisir toute opportunité susceptible de promouvoir les objectifs économiques et politiques à long terme de l’Afrique. Au sein des instances de l’UA, il conviendrait de clarifier les aspirations abstraites à renforcer le pouvoir d’action de l’Afrique, puis de les mettre en pratique. Les échecs répétés à concrétiser une stratégie de partenariat de l’UA montrent qu’il faut sortir de l’impasse.

Les États membres de l’UA doivent intégrer la dynamique des efforts diplomatiques ad hoc dans le développement institutionnel à long terme. Il est également impératif de surmonter les tensions entre la Commission de l’UA, le CPS et les États membres pour permettre à l’UA de consolider la place de l’Afrique dans la diplomatie de crise mondiale.

La réunion du Conseil exécutif de l’UA à Nairobi les 13 et 14 juillet prochains sera une bonne occasion d’échanger en toute franchise et de faire le point sur la mission de paix africaine en Ukraine et en Russie. Une déclaration sur l’initiative, voire un mot de remerciement de la part du Conseil exécutif, serait bénéfique.

Il est essentiel que les dirigeants du continent prennent conscience de la pertinence (et de la difficulté) d’une prise de position de l’Afrique sur les défis sécuritaires extérieurs. Et pour maintenir une dynamique constructive autour de la participation de l’UA au G20 et au Conseil de sécurité des Nations unies, les futures missions de médiation devront intégrer une Commission de l’UA mieux organisée et plus proactive.

Hubert Kinkoh, chercheur, programme Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba et Ueli Staeger, Université de Genève et Institut d’études comparatives sur l’intégration régionale de l’Université des Nations unies

Image : © Union Africaine/Flickr

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