Le dialogue s’annonce ardu en Côte d’Ivoire

Bien que les pourparlers entre Ouattara et l'opposition puissent faire baisser les tensions, des compromis majeurs de part et d'autre seront indispensables.

Le 9 novembre, le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire a confirmé la réélection du président sortant Alassane Ouattara au premier tour, pour un troisième mandat. Ce dernier a remporté 94,27 % des voix lors du scrutin du 31 octobre.

Selon les chiffres officiels, la participation électorale s’est élevée à 53,9 %, un résultat qui permet au gouvernement de défendre la légitimité du nouveau mandat présidentiel. L’opposition et de nombreux observateurs mettent cependant en doute la fiabilité de ces résultats. La réélection de M. Ouattara a mis fin à un processus particulièrement tendu et contesté qui a vu le pays revenir à la tenue d’élections qui depuis longtemps anéantissent les espoirs des Ivoiriens et ouvrent la voie à la violence.

De nombreux Ivoiriens ont voté dans un climat d’anxiété et de violence, tant verbale que physique. Selon une déclaration du gouvernement le 11 novembre, 85 personnes sont mortes depuis le mois d’août dans des violences liées aux élections, suite à l’annonce de la candidature de M. Ouattara pour son troisième mandat.

Les Missions d’observation électorale menées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et par l’Union africaine (UA) ont exprimé leur satisfaction générale, tout en reconnaissant l’atmosphère tendue dans laquelle le scrutin s’est déroulé. La société civile raconte une histoire bien différente.

La réélection de Ouattara voit le retour d’élections qui anéantissent les espoirs des Ivoiriens et ouvrent la voie à la violence

Indigo Côte d’Ivoire, qui a déployé près de 1 000 observateurs dans tout le pays, a conclu que le climat politique ne permettait pas « l’expression massive et sereine du vote pour une partie importante de la population ». La Mission d’observation internationale dirigée par l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique et par le Centre Carter a également remis en question le caractère compétitif et la crédibilité du scrutin.

Compte tenu de ces soupçons, de la violence et des boycotts qui ont caractérisé le processus électoral, il est difficile d’affirmer que le scrutin a renforcé la paix, la cohésion sociale et la démocratie en Côte d’Ivoire. Au lendemain de l’élection, le blocage entre l’opposition et le régime Ouattara s’est au contraire accentué.

L’opposition a déclaré ne reconnaître ni le processus électoral ni les résultats du scrutin et a appelé à une « transition civile afin de créer les conditions d’une élection présidentielle juste, transparente et inclusive ». Le 2 novembre, l’opposition a établi un Conseil national de transition présidé par l’ancien président Henri Konan Bédié.

Le gouvernement ivoirien a vigoureusement dénoncé ces prétentions et engagé des poursuites judiciaires contre certains membres de l’opposition, notamment pour « actes de terrorisme », « atteinte et complot contre l’autorité de l’État » et « organisation et participation à un mouvement insurrectionnel ». Plusieurs personnalités de l’opposition, dont Pascal Affi N’Guessan, porte-parole de l’alliance d’opposition, ont été arrêtées.

Bédié a posé une condition selon laquelle le dialogue doit inclure tous les groupes politiques d’opposition

L’impasse actuelle et les risques associés à cette situation ont conduit à des appels au dialogue de la part de la CEDEAO, de l’UA, des Nations Unies, de l’Union européenne, de la France et des États-Unis. Des pourparlers permettraient d’apaiser les tensions et ainsi mettre fin à la dangereuse spirale de violence qui prend une tournure de plus en plus communautaire.

S’adressant à la nation le 10 novembre, M. Ouattara a exprimé sa « disponibilité [...] pour un dialogue sincère et constructif avec l’opposition, dans le respect de l’ordre constitutionnel ». Il a notamment invité M. Bédié à une rencontre « pour un dialogue franc et sincère en vue de rétablir la confiance ». Une première réunion de prise de contact a eu lieu à Abidjan le 11 novembre.

Cependant, de nombreux doutes et questions entourent le processus de dialogue. Sur quelle base ces pourparlers seront-ils établis ? Quel sera le cadre utilisé et qui sera impliqué ? Qu’espèrent-ils obtenir ?

Les positions prises par l’administration de Ouattara et par l’opposition sont si claires et diamétralement opposées que ce dialogue nécessiterait des compromis importants de part et d’autre. Or, il est peu probable que le gouvernement revienne sur la constitutionnalité du troisième mandat de M. Ouattara, et encore moins sur le bien-fondé du processus électoral qui y a conduit.

Le dialogue peut faire baisser les tensions en Côte d’Ivoire mais il ne doit pas être perçu comme une fin en soi

Même si cette question n’a pas été remise sur la table des négociations, rien n’indique que l’opposition retirera sa demande en nullité de la légalité du troisième mandat, ou qu’elle reconnaîtra officiellement M. Ouattara comme président légitime.

En ce qui concerne le cadre des négociations, le gouvernement a toujours privilégié le dialogue direct. L’opposition souhaite cependant qu’un facilitateur international soit à la tête de ce processus, cette demande a été réitérée le 11 novembre. L’atmosphère apparemment détendue qui a suivi la rencontre entre Ouattara et Bédié pourrait signifier qu’un accord a été conclu concernant la mise en place d’un dialogue direct avec des observateurs issus de la CEDEAO, de l’UA, des Nations Unies et de l’UE.

Si M. Ouattara est favorable à un tête-à-tête avec M. Bédié, ce dernier a cependant exigé que le dialogue inclue tous les partis et groupes politiques de l’opposition. L’animosité entre Ouattara et Guillaume Soro laisse planer un doute quant au caractère inclusif du processus engagé.

La nature hétérogène de l’opposition ainsi que les intérêts et programmes de ses différents partis et personnalités posent également problème. L’opposition parviendra-t-elle à maintenir sa cohésion et arriver à un véritable consensus ?

La mise en place d’un processus de dialogue peut désamorcer les tensions en Côte d’Ivoire, mais ce dialogue ne doit pas être considéré comme une fin en soi. Il ne doit pas conduire à un nouveau partage du pouvoir entre anciens alliés et opposants politiques. Les Ivoiriens qui ont perdu la vie ces dernières semaines ne peuvent pas être sacrifiés sur l’autel d’intérêts politiques et individuels.

Les enjeux qui ont donné lieu à la crise actuelle, en particulier la question de la limitation des mandats présidentiels, doivent également être résolus. Si la règle des deux mandats doit être respectée à l’avenir, alors la Constitution devra préciser ce point afin d’éviter de donner lieu à de multiples interprétations qui tendent à être motivées par les intérêts politiques du moment.

William Assanvo, chercheur principal, ISS Abidjan

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