L'Afrique sous tension : l'impact des conflits du Moyen-Orient
L’Afrique risque d’être impliquée dans des conflits par procuration, avec des répercussions sur la sécurité, les investissements étrangers et les relations commerciales.
Les événements récents au Moyen-Orient ont intensifié les tensions politiques et provoqué une nouvelle et dangereuse phase d’affrontement, aux répercussions potentiellement graves pour l’économie politique mondiale.
Après l’attaque de l’ambassade d’Iran à Damas par Israël le 1er avril, l’Iran a riposté en lançant une vaste attaque de drones et de missiles le 13 avril, qui a ravivé les craintes d’une escalade impliquant des mandataires et des puissances régionales et mondiales. Les décideurs politiques et le monde des affaires doivent anticiper les implications économiques, tandis que les pays africains, déjà fragilisés, pourraient faire face à des pertes sur les marchés financiers, des perturbations commerciales et une aversion au risque élevée.
Dans un contexte de tensions croissantes, deux scénarios se dessinent.
Le premier est une escalade qui transformerait la « guerre froide » Iran-Israël en conflit ouvert. Cette option a les faveurs du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui pourrait utiliser les représailles de Téhéran pour alimenter le nationalisme et favoriser une mentalité d’assiégé afin de renforcer son soutien politique.
L’attaque ciblée de l’Iran suggère plus de sa part une volonté de marquer fortement les esprits que de détruire, comme l’a observé Ziad Daoud de Bloomberg. Malgré cette relative retenue, nous naviguons en territoire inconnu, et certains craignent qu’Israël ne passe à l’offensive si les grandes puissances n’interviennent pas.
Le blocage de routes maritimes essentielles pourrait provoquer une récession mondiale
Le deuxième scénario, qui nécessitera une intervention diplomatique habile, serait la désescalade des tensions. Cela dépend de la capacité de Washington et de ses alliés à faire fléchir Tel-Aviv. Comme le note l’experte en géopolitique Velina Tchakarova, les États-Unis se méfient d’une escalade, en raison des avancées de la Russie en Ukraine et de la Chine en mer de Chine méridionale. Il est loin d’être souhaitable de se retrouver sur trois fronts avant une élection nationale cruciale.
Toutefois, étant donné la position compromise de Netanyahou sur le plan intérieur, il pourrait rejeter cette option pour affaiblir le président américain Joe Biden, dans l’espoir qu’un allié plus favorable (Donald Trump) émerge après novembre.
Dans le second scénario, le plus probable, une détente entre l’Iran et Israël n’aura probablement pas d’incidences sur le conflit de Gaza, ce qui maintiendra le statu quo géopolitique précaire actuel.
Si le premier scénario se concrétise, les marchés opteront probablement pour la sécurité, renforçant le dollar américain en raison de la montée de la peur et de l’aversion au risque. Cela affaiblira les monnaies des marchés émergents et de l’Afrique, et augmentera le coût des emprunts internationaux en alourdissant le service de la dette.
Avec une inflation plus élevée que prévu aux États-Unis et le maintien des taux à un haut niveau pendant plus longtemps, tout retard prolongé dans la normalisation des taux par la Fed ne fera qu’accentuer le sentiment défavorable envers les marchés émergents. Alors que les États souverains africains ne réémettent de la dette au niveau international que depuis près de deux ans, cela représente un nouveau défi pour les émetteurs potentiels, réduisant encore la marge de manœuvre budgétaire déjà limitée de nombreux pays.
L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, membres du G21 et des BRICS, pourraient stabiliser la situation
Cependant, les prix des matières premières pourraient apporter un certain soulagement, avec une probable hausse de l’or en période d’aversion au risque. De même, les perturbations sur les routes du pétrole devraient entraîner une augmentation de son prix et par conséquent celle des recettes d’exportation des pays.
Si la hausse des prix est en principe bénéfique pour les exportateurs d’or (Afrique du Sud et Tanzanie) et de pétrole (Angola, Gabon et Nigeria), il pourrait en être autrement pour les consommateurs, compte tenu des répercussions sur les marchés de l’énergie, les routes maritimes et les chaînes d’approvisionnement. La fermeture du détroit d’Ormuz, par lequel transite 17 % de la production mondiale de pétrole, pourrait avoir un impact considérable sur les prix mondiaux de l’énergie. Les perturbations des expéditions de pétrole pourraient entraîner une hausse des coûts du carburant pour les compagnies aériennes et maritimes, impactant les consommateurs.
La fermeture prolongée d’un point d’étranglement majeur susciterait l’inquiétude des investisseurs, surtout après les récents dérèglements des chaînes logistiques en mer Noire et en mer Rouge, risquant de déstabiliser les marchés et de provoquer une récession mondiale.
« Pour les États africains, la tâche consiste à naviguer habilement dans la géopolitique énergétique et la diplomatie stratégique sans tomber du mauvais côté de l’équation économique. L’escalade des hostilités entre Israël et l’Iran représente une nouvelle fracture géopolitique mondiale », note Priyal Singh, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité.
Singh souligne que pour garantir que la sécurité humaine et le développement en Afrique ne soient pas reléguer au second plan par les grandes puissances les pays africains « doivent trouver le moyen de se protéger de l’instabilité internationale tout en renforçant leurs engagements avec les acteurs mondiaux (au-delà des clivages géopolitiques) ». Il ajoute que les États africains ont déjà vécu cette situation et que « malheureusement, il n’existe pas de recette pour gérer ce délicat exercice d’équilibre ».
Les nations africaines doivent anticiper un nouveau choc économique majeur par contamination
Il est certain que la situation sera complexe. L’ancien ministre indien des Affaires étrangères, Kanwal Sibal, l’a qualifiée de « dérive géopolitique ». Il pense que l’absence de dialogue entre l’Occident et la Russie et les relations conflictuelles entre les États-Unis et la Chine risquent de compromettre l’efficacité du Conseil de sécurité des Nations unies dans l’apaisement des tensions.
Il estime que les liens qui rapprochent la Russie et la Chine de l’Iran en tant que membres des BRICS et de l’Organisation de coopération de Shanghai rendraient inefficaces les efforts du G7. La dimension des BRICS est d’autant plus intéressante que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont récemment rejoint le bloc élargi des BRICS en même temps que l’Iran, ce qui en fait ostensiblement des alliés stratégiques. Pourtant, l’Arabie saoudite et l’Égypte ont toutes deux des liens historiques avec Israël, conformément à leur alignement général sur les États-Unis.
Avec un pied dans l’un ou l’autre camp, Riyad et Le Caire se retrouvent face à un dilemme : comment concilier les apparences autour du conflit de Gaza avec leurs intérêts, leurs alliances internationales et leur réalpolitique ? En effet, il devient plus difficile d’évaluer l’alignement de chaque État et la façon dont ils maintiennent ce difficile équilibre dans un contexte mouvant d’alliances mondiales et d’incitations économiques.
Compte tenu de la domination énergétique des membres des BRICS, de leur volonté de mettre fin au pétrodollar et de leur influence sur le canal de Suez et le détroit d’Ormuz, l’Occident se méfiera de l’impact économique d’une guerre énergétique qui verrait l’une de ces nations s’éloigner de l’orbite occidentale. Par conséquent, les pays africains risquent d’être entraînés dans des conflits par procuration avec des répercussions sur la sécurité, les investissements étrangers et les relations commerciales.
L’Afrique et le Sud observeront la réponse occidentale à l’agression israélienne. Alors que les frustrations liées à la partialité de l’Occident sont déjà fortes, laisser Israël se déchaîner alimentera le scepticisme de l’Afrique à l’égard du Nord.
De même, la présence de deux membres des BRICS au cœur de l’instabilité mondiale ne compense guère la profonde méfiance des capitales occidentales à l’égard du groupe. Des pays comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, membres du G21 et des BRICS, pourraient stabiliser la situation.
Alors que la réponse d’Israël reste incertaine, les nations africaines doivent se préparer à un nouveau choc économique par contamination. Les dirigeants africains doivent anticiper de telles éventualités à l’avenir, face à une crise mondiale dont ils ne sont pas responsables.
Les récents conflits offrent peu d’enseignements utiles, car tant la neutralité stratégique (Ukraine) que les positions de principe (Gaza) ont suscité la colère des grandes puissances. À court terme, les faibles réserves budgétaires et monétaires limitent la capacité à atténuer l’impact de ces chocs.
À plus long terme, la résilience et l’autosuffisance nationale sont vitales. La diversification économique, une plus grande intégration régionale et commerciale et une diplomatie pragmatique devraient être au centre des préoccupations. Les décideurs politiques doivent utiliser le pouvoir de négociation collectif de l’Afrique, renforcer les marchés de capitaux nationaux et négocier intelligemment avec les puissances mondiales avides de ressources pour maximiser les avantages économiques.
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