Des leçons doivent être tirées avant que Barkhane ne s’engage sur de nouveaux fronts

Les États côtiers pourraient s’enfoncer davantage dans l’insécurité si la même stratégie antiterroriste mise en œuvre dans le Sahel leur était appliquée.

Le président français Emmanuel Macron a annoncé le retrait des forces Barkhane et Takuba du Mali, tout en s’engageant à « poursuivre [...] l’action conjointe contre le terrorisme dans la région du Sahel, notamment au Niger, et dans le golfe de Guinée ».

M. Macron a fait cette annonce lors d’une conférence de presse à laquelle participaient les chefs d’état du Sénégal et du Ghana, qui président respectivement l’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, ainsi que le président du Conseil de l’Union européenne (UE), présentant ainsi un front commun.

Mais la France et ses alliés vont-ils simplement déplacer leur ancrage dans la région ? Ou vont-ils revoir leurs stratégies en s’appuyant sur les leçons tirées de leurs précédentes interventions ?

L’annonce du 17 février, soutenue également par le Canada, a eu lieu dans un contexte de détérioration des relations entre le Mali, la France et d’autres pays d’Europe et d’Afrique de l’Ouest.

L’important soutien international des dix dernières années n’a pas permis de ramener la sécurité

Les tensions se sont accrues à la suite du coup d’état d’août 2020 au Mali et en raison du caractère non consensuel du calendrier pour la tenue des élections présenté par les autorités militaires de transition. Le fait qu’il n’y ait pas eu de progrès en ce qui concerne les réformes qui devraient précéder les élections fait craindre que le gouvernement militaire n’envisage de rester au pouvoir indéfiniment.

Au cœur du problème réside également l’allégation de collaboration entre le gouvernement de transition du Mali et le groupe militaire privé russe Wagner, que le Mali dément. Pour les partenaires européens, il s’agit d’une ligne rouge à ne pas franchir.

Les responsables français et ceux d’autres pays d’Europe affirment que le Mali bénéficiait déjà d’importants mécanismes multilatéraux en matière de sécurité. Il s’agit notamment de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), de la Mission de formation militaire de l’Union européenne (EUTM), de la Task Force Takuba (une unité militaire européenne) et de la Force conjointe du G5 Sahel, en plus de l’opération Barkhane.

Cependant, cet important dispositif international, déployé progressivement ces dix dernières années, n’a pas permis de ramener la sécurité. La décision apparente du Mali d’explorer de nouvelles alliances militaires semble refléter un certain mécontentement quant aux partenariats existants – et les pays européens devraient s’interroger sur les sources de ce mécontentement.

La restructuration de Barkhane et de Takuba aura des conséquences immédiates pour le Mali et le Sahel. Le glissement géographique prévu en direction des pays du Golfe de Guinée pourrait toutefois également entraîner des répercussions importantes pour les États du littoral, notamment le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Sénégal et le Togo.

Au lieu de se contenter de changements superficiels et d’un glissement géographique, il convient de procéder à un examen approfondi des enseignements tirés

Mettre en œuvre une approche antiterroriste identique à celle qui a été utilisée au Sahel, sans en identifier les points faibles ni faire le bilan des logiques et des pratiques des dispositifs de sécurité existants, ferait courir des risques aux pays côtiers et à la région. Au lieu de se contenter de changements superficiels et de cibler une nouvelle zone géographique, il convient de procéder à un examen approfondi afin de tirer des enseignements. Pourtant, il y a eu peu de reconnaissance publique du fait que la stratégie mise en œuvre dans le Sahel, au cours de la dernière décennie, était peut-être inadéquate.

Les principales insuffisances consistent dans l’absence d’investissement dans les efforts de prévention, en particulier sur les questions socioéconomiques, la cohésion sociale et les fronts de la politique, de la justice et de la gouvernance. Un autre problème réside dans le fait que l’accent a été mis sur l’aspect militaire dans le but de vaincre les groupes terroristes en « neutralisant » leurs chefs, sans pour autant se doter d’un plan visant à répondre aux préoccupations des populations locales qu’instrumentalisent les groupes pour recruter. Conclure des alliances avec des groupes armés non étatiques, stigmatiser certaines communautés et ne pas accorder la priorité à la protection des civils sont autant d’erreurs coûteuses qu’il ne faudra pas répéter à l’avenir.

Autre enseignement à tirer, il ne faut pas exclure a priori tout dialogue avec certains insurgés. Depuis 2016, les recherches de l’Institut d’études de sécurité au Sahel montrent que les groupes extrémistes violents sont segmentés. Les exécutants, les cadres intermédiaires et les dirigeants n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. Cela ouvre des pistes aux États pour pouvoir mener des discussions à plusieurs niveaux.

Les leçons tirées du bassin du lac Tchad montrent qu’il est possible d’encourager les membres des groupes extrémistes violents à faire défection. Il faut toutefois prévoir comment sera gérée une situation dans laquelle un grand nombre de personnes quitteraient les rangs de ces groupes. Ces efforts doivent s’appuyer sur une consultation des communautés afin de garantir qu’elles s’approprient ces stratégies.

Les financements externes sont souvent assortis de contraintes qui ne sont pas toujours adaptées aux contextes nationaux et régionaux

S’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme violent, bien gérer les défis en matière de sécurité et anticiper les prochaines étapes requièrent des efforts conjoints aux niveaux régional et mondial. Bien que les appuis techniques, le financement et le partage d'expérience soient nécessaires, les pays de l’Afrique de l’Ouest ne devraient pas dépendre trop fortement de soutiens extérieurs, s’ils souhaitent prétendre au leadership auquel ils aspirent pour pourvoir à leur propre sécurité.

L’exemple sahélien montre que le financement extérieur s’accompagne de retards, de contraintes et d’intentions, qui ne sont pas toujours adaptés aux contextes locaux, nationaux et régionaux. L’insistance de M. Macron sur le fait que l’aide antiterroriste proposée par la France dépendra dorénavant de la demande des pays concernés constitue une reconnaissance tacite des erreurs passées qui ont alimenté le ressenti des populations contre la politique étrangère française, et par extension européenne, au Sahel.

L’extension géographique proposée vers les États côtiers d’Afrique de l’Ouest reflète la propagation du terrorisme au-delà des frontières du Mali et du Sahel, bien réelle depuis 2016. Pourtant, les attaques dans les États côtiers ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Depuis des années, ces territoires sont utilisés à des fins de financement, d’approvisionnement, de transit, de repos et de recrutement. Ainsi, ces pays contribuent involontairement à alimenter l’insécurité au Sahel.

Les États du littoral sont conscients de la menace et tentent d’empêcher son expansion en ayant recours à des approches militaires et non militaires. Mais, étant donné les nombreuses attaques qui ont eu lieu récemment en Côte d'Ivoire, au Bénin et au Togo, et alors que les États côtiers envisagent de s’engager dans des actions antiterroristes en collaboration avec des forces étrangères, il faut tirer les enseignements de la situation actuelle au Sahel pour définir la portée, les objectifs et anticiper les risques de ce type d’opérations.

Le communiqué signé par la France, le Canada et certains pays d’Afrique de l’Ouest et d’Europe indique que des consultations à venir permettront d’arrêter « les paramètres d’une action commune d’ici juin 2022 » et qu’une réunion ministérielle sera organisée par la Coalition pour le Sahel.

Ces plateformes offrent la possibilité d’identifier les erreurs, d’en tirer des leçons et de les utiliser pour redéfinir de nouvelles approches. Il s’agit là de la seule manière de s’assurer que, d’ici dix ans, les citoyens d’Afrique de l’Ouest et du Sahel ne seront pas confrontés à une situation sécuritaire, sociopolitique et humanitaire plus désastreuse encore.

Lori-Anne Théroux-Bénoni, directrice régionale, et Sampson Kwarkye, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du Lac Tchad

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